Interview de Geoffrey Crofte, UX designer et Lead Design System chez Foyer Assurances (Luxembourg)
Série Traduction WCAG 2.1
Pour célébrer la publication de la traduction officielle en français des WCAG 2.1, la norme internationale d’accessibilité numérique, nous avons souhaité donner la parole au comité de relecture et de validation avec qui Access42 a travaillé pour traduire la célèbre spécification du W3C.
Aujourd’hui, nous rencontrons Geoffrey Crofte, UX Designer chez Foyer Assurances au Luxembourg.
Access42 — Bonjour Geoffrey ! Pouvez-vous vous présenter ?
Geoffrey Crofte — Je suis UX Designer chez Foyer Assurances, et ancien intégrateur web, une denrée rare aujourd’hui dans ce marché inondé de front-end et full-stack developers. J’ai commencé mon activité professionnelle dans la petite agence web Alsacréations, qui m’a rapidement sensibilisé aux notions d’accessibilité. J’ai pu y suivre la formation de Philippe Vayssière, un ancien collègue expert AccessiWeb en évaluation.
Ensuite, comme souvent dans mes activités professionnelles, j’ai continué ma formation en autodidacte pour conserver cette corde à mon arc.
Mais avec le temps et la pratique, on prend des automatismes qui ne sont pas toujours les bons : c’est pourquoi je prévois une piqûre de rappel avec les formations design, développement et tests d’accessibilité proposées par Access42. Je vais aussi embarquer quelques collègues développeurs avec moi.
Access42 — Pourquoi avez-vous souhaité faire partie du groupe de relecture officiel de la traduction des WCAG 2.1 en français ?
Geoffrey Crofte — J’ai appris énormément des autres et de la communauté web, aussi j’offre de mon temps quand je le peux, même si c’est peu, pour contribuer et aider à mon tour.
Travailler en groupe avec d’autres experts lors des sessions organisées par Access42 me semblait également être un excellent moyen de collaborer et échanger des connaissances avec d’autres professionnels du métier.
Travaillant de plus en plus dans un environnement multilingue et ayant beaucoup bourlingué, je me suis dit que mon humble expérience et mon amour pour la diversité de ce monde me permettraient d’ajouter ma petite pierre à l’édifice énorme que sont les WCAG.
Access42 — Comment la coordination de la traduction par Access42 a-t-elle facilité le travail du comité de relecture ?
Geoffrey Crofte — Le travail fourni par Access42 sur la coordination et la facilitation de la traduction était assez impressionnant.
J’avais vraiment l’impression de venir valider ou compléter un travail en amont déjà très abouti. Cela nous permettait, en tant que contributeurs et contributrices, de concentrer nos efforts sur des détails de traduction pour vraiment peaufiner la formulation des propositions faites. Chapeau bas à vous !
Access42 — Pourriez-vous présenter brièvement l’état de l’accessibilité numérique dans le Grand-Duché de Luxembourg ?
Geoffrey Crofte — Je n’ai pas tous les détails historiques donc j’espère ne pas vous dire trop de bêtises, mais l’accessibilité numérique est une obligation légale depuis une loi du 28 mai 2019 rendant la prise en charge obligatoire pour les sites web de l’administration. Un peu comme le RGAA pour la France, des années auparavant.
Le référentiel a longtemps été Renow. Il s’agit d’un référentiel incluant bien plus que de l’accessibilité, mais restant à un niveau assez élevé de recommandations avec des checklists variées. Il cite et utilise les WCAG, mais ne propose pas de référentiel mobile, ni de traduction française, et mélange ergonomie, conduite de projet et accessibilité, ce qui rend la liste de critères assez longue (170 items).
Nous utilisons chez Foyer Group une adaptation desktop et mobile prenant des sources dans le RGAA disponible sur accessibilite.lu, une adaptation mise à disposition par le Service Info Presse (SIP) du Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg.
Malgré cette obligation, à ma connaissance la conformité est assez triste pour l’ensemble des sites du Grand-Duché (cf. le rapport 2020-2021 du SIP). Cependant, un effort conséquent est mis dans les audits. Mais les correctifs et améliorations mettent du temps à voir le jour.
Access42 — Comment jugez-vous la politique du Grand-Duché de Luxembourg en matière d’accessibilité numérique par rapport à celle de la France ?
Geoffrey Crofte — De mon point de vue, le Luxembourg est légèrement en retard et un peu plus timide sur le sujet, en comparaison à sa voisine la France, mais il est difficile de comparer factuellement. Par exemple, d’après une source renseignée, la France n’aurait toujours pas publié son rapport, contrairement au Luxembourg.
Toutefois, la dynamique du pays est telle que, si la communication sur le sujet se fait plus présente, le Grand-Duché pourrait rapidement passer devant. La compétition est ouverte ! Mais c’est bien parce qu’elle serait bénéfique pour beaucoup de gens. 😉
Access42 — Dans votre poste actuel, à quelles étapes l’accessibilité numérique est-elle prise en compte ?
Geoffrey Crofte — Mon poste actuel de Lead Design System me permet d’intégrer l’accessibilité à la source des développements applicatifs que nous faisons au sein de Foyer Assurances.
Notre base de travail n’est hélas pas encore complètement « saine », mais nous travaillons à l’améliorer semaine après semaine. Je travaille pour cela avec Bastien Collet, un développeur et responsable technique hors pair.
Notre gros défaut et l’absence complète de formation de nos développeurs projet sur le sujet. Mais nous comptons bien sur les formations d’Access42 pour combler ce manque.
Access42 — Avez-vous l’occasion de collaborer directement avec des personnes handicapées ? (Co-conception, tests d’utilisabilité par exemple)
Geoffrey Crofte — Mon employeur intègre depuis cette année l’accessibilité numérique dans ses nombreuses missions autour de l’égalité des chances, et l’inclusivité. Nous travaillons en ce moment à corriger les erreurs d’accessibilité de nos sites publics. En parallèle, nous avons lancé l’an dernier un User Club pour être toujours plus proches de notre clientèle ainsi que des utilisateurs et utilisatrices finaux.
Cependant, en travaillant dans l’assurance, le recrutement pour des tests d’utilisabilité orienté sur l’accessibilité de nos interfaces est bien plus compliqué qu’il n’y paraît. Pour des raisons évidentes, les données de santé de nos assurés ne nous sont pas communiquées.
J’ai pour projet de me rapprocher d’associations locales pour collaborer avec elles et rendre nos interfaces plus inclusives et accessibles. Je croise les doigts.
Access42 — Selon vous, que faudrait-il faire évoluer pour que l’accessibilité numérique soit prise en compte de manière systématique et efficace ?
Geoffrey Crofte — Il faudrait déjà en parler bien plus publiquement et en faire la promotion de manière régulière au travers de communication officielle non seulement au sein de l’administration, mais aussi des entreprises privées qui décident enfin de faire leurs premiers pas dans ce domaine.
Cela pourrait avoir lieu en utilisant des mots comme « handicap », « handicapé », « problème » (pour mentionner des soucis d’accessibilité), en mettant les vrais mots sur les vraies choses et en rappelant que le handicap est provoqué par une inadéquation entre, d’une part, un état physique ou intellectuel et, d’autre part, ce que la société accepte de faire comme effort pour « la norme », alors on aura une chance de commencer à s’activer pour un numérique accessible.
Lors d’une conférence, Léonie Watson a dit quelque chose comme : « Vous le ferez forcément mal au début, mais l’important c’est d’y penser et de faire l’effort du premier pas. Vous ferez mieux à chaque pas. »
C’est ce que nous faisons chez Foyer Assurances : nous encourageons les personnes volontaires et avancer sur le sujet, nous auditons nos sites pour pointer du doigt nos erreurs, nous nous formons et nous communiquons sur le sujet en espérant que d’autres sociétés nous emboîtent le pas.
Access42 — Souhaitez-vous ajouter quelque chose, ou passer un message supplémentaire à propos de l’accessibilité numérique ?
Geoffrey Crofte — Peut-être un message à destination des personnes valides et qui pensent que l’accessibilité numérique ne les concerne pas : en tant que personnes « valides », on voit souvent le handicap comme quelque chose d’inné, d’étranger à nous, duquel on peut se penser à l’abri.
Mais c’est quelque chose qui peut arriver à n’importe quel moment de la vie (et c’est une personne qui travaille dans l’assurance qui vous le dit), a fortiori si vous avez la chance de vieillir.
En somme, si investir du temps pour les autres ne vous semble pas être un argument suffisant, fournir des efforts maintenant, c’est investir dans votre propre avenir.
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