Paris Web 2023 : retour sur nos conférences préférées

Paris Web reste, en France, un évènement important pour quiconque s’intéresse à l’accessibilité numérique. C’est avec plaisir que nous y avons assisté cet automne : il s’agissait de retrouvailles pour Cécile, mais d’une découverte pour Maïa.

Si cette édition de Paris Web s’est ouverte sur la publication récente des Web Sustainability Guidelines, relatives à l’écoconception, l’accessibilité numérique n’était pas en reste.

En effet, non contente d’être l’objet de plusieurs conférences dédiées, elle a aussi été abordée lors de plusieurs sessions de questions/réponses au terme de présentations dont le sujet majeur n’était pas l’accessibilité.

Nous tenions à revenir sur les conférences que nous avons préférées.

Note : toutes les vidéos des conférences évoquées dans cet article sont sous-titrées et transcrites.

« L’IA et le handicap : progrès ou exclusion ? » Par Emmanuelle Aboaf et Thanh Lan Doublier

Emmanuelle Aboaf et Thanh Lan Doublier, deux développeuses sourdes, sont revenues sur des utilisations de l’Intelligence Artificielle (IA), des Large Language Models (LLM) et du deep learning en lien avec le handicap.

Elles ont d’abord abordé la représentation des personnes handicapées par l’IA, puis les outils développés en lien avec l’IA pour rendre service aux personnes en situation de handicap.

Bien que ces outils soient prometteurs, il est indispensable de faire participer des personnes concernées par le handicap tout au long de leur conception et des itérations évolutives afin d’éviter toute discrimination, mais aussi pour éviter de développer des fonctionnalités « intelligentes » inutiles et chères dont les personnes en situation de handicap n’ont pas besoin, à la façon des « Disability Dongles ».

Cette conférence était une bonne entrée en matière pour commencer Paris Web, parce qu’il est essentiel d’entendre des personnes handicapées prendre la parole sur des thématiques qui les concernent, en particulier sur le validisme.

Cette conférence a aussi permis à des personnes en situation de handicap présentes dans le public de réagir et de partager leur avis sur ces outils.

Retrouvez la vidéo de cette conférence sur le site de Paris Web.

« WCAGmire », par Adrian Roselli

Adrian Roselli, expert américain reconnu dans le milieu de l’accessibilité numérique, estime que les principes généraux des WCAG (Web Content Accessibility Guidelines) peuvent mener à des situations problématiques lors de la conception de certaines interfaces.

Il a cité quelques critères de succès WCAG et les incohérences qu’il y voit, en particulier en ce qui concerne les alternatives textuelles, les contrastes de couleur, l’information donnée par la couleur et la linéarisation du contenu.

Selon lui, certains critères peuvent être conformes seuls, mais proposer une expérience utilisateur médiocre ; cependant, c’est le respect de plusieurs critères combinés qui permet de proposer une expérience utilisateur suffisamment accessible.

La norme WCAG est effectivement composée de principes généraux, valables en dehors de tout contexte technique, que ce soient les technologies d’assistance utilisées par les personnes handicapées, ou les techniques utilisées par les équipes de développement : c’est ce qui assure sa pérennité.

Chez Access42, ces principes généraux nous semblent nécessaires. Sans cela, la norme ne serait faite que d’une suite de cas particuliers, ce qui la rendrait toute aussi compliquée à interpréter.

Nous ne sommes donc pas tout à fait d’accord avec Adrian Roselli sur ce point. En effet, si les techniques et échecs proposés par la norme WCAG sont nombreux, il existe des référentiels permettant de faciliter leur utilisation.

Ainsi, en France, la législation s’appuie sur le RGAA (Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité). Le RGAA est une transposition opérationnelle des WCAG, qui offre un ensemble de critères et de tests unitaires permettant de s’assurer que les WCAG sont respectées.

Le RGAA, en tant que grille de lecture facilitée des WCAG, permet de vérifier l’accessibilité d’un produit ou d’un service numérique de manière plus méthodique et opérationnelle. Le référentiel français dépasse ainsi, selon nous, certaines limites souvent reprochées aux WCAG.

De la conférence d’Adrian Roselli, nous retenons tout de même des recommandations pertinentes, comme le fait d’intégrer l’accessibilité des composants techniques dans leur « Definition of Done » : en méthode agile, cela signifie qu’un composant ne sera pas considéré comme terminé tant qu’il ne sera pas conforme à la norme.

Retrouvez la vidéo et le support de présentation (en anglais) d’Adrian Roselli.

Devanture de l’Institut Pasteur

« Le contenu doit être rédigé de la manière la plus claire et la plus simple possible : les textes dans l’accessibilité numérique », par Morgane Hauguel

Morgane Hauguel est cofondatrice d’une entreprise spécialisée en langage clair, un principe de rédaction dont le but est de rendre les textes lisibles et compréhensibles par plus grand nombre.

Partant d’un état des lieux sur les difficultés liées à la lecture et à la compréhension de l’information écrite en France (16 % de la population âgée de 16 à 65 ans seraient concernés), Morgane Hauguel a présenté plusieurs principes de rédaction permettant de produire des textes plus faciles à lire. Par exemple :

  • l’utilisation de vocabulaire et tournures de phrases simples ;
  • des longueurs de phrases réduites ;
  • la mise en avant des informations importantes ;
  • etc.

Sans oublier l’importance d’impliquer dans cette démarche des personnes concernées par des difficultés de lecture.

Si nous connaissions les méthodes d’écriture simplifiée, telles que le langage clair et le FALC (Facile à lire et à comprendre), comme moyens de satisfaire au critère 3.1.5 des WCAG 2.1, nous n’avions jamais creusé les principes de ces méthodes ni leur histoire.

La présentation de Morgane Hauguel nous a donc donné une compréhension beaucoup plus concrète de ces principes, et l’envie d’en apprendre davantage.

Consulter la vidéo et le support de présentation (PDF, 4,3 Mo) de Morgane Hauguel.

« L’utilisateurice forcée, qui n’aime pas l’informatique » par Tony Archambeau

Tony Archambeau a créé une application de gestion d’interventions qui permet à des professionnels de divers secteurs de faciliter le suivi de leurs interventions sur le terrain.

Cependant, le choix de sa solution est décidé par les entreprises : les utilisateurs finaux, eux, subissent parfois ce choix, quand l’envie ou les capacités sont limitées. Cet outil numérique peut alors constituer une difficulté supplémentaire dans leur activité professionnelle.

En partant de trois situations concrètes – illectronisme, illettrisme et allophonie (avoir une langue de naissance différente de la langue officielle de l’endroit où l’on se trouve) –, Tony Archambeau a présenté des adaptations permettant de rendre l’interface utilisable par un plus grand nombre de personnes, une thématique qui nous est chère.

Nous avons constaté que certaines propositions d’adaptation visant à résoudre des problématiques liées à l’illectronisme, l’illettrisme ou l’allophonie rejoignent certains critères du RGAA, par exemple :

  • déclencher des fonctionnalités au moyen de gestes ou de raccourcis clavier : critères 12.10 et 13.10 du RGAA 4 ;
  • pouvoir annuler des actions déclenchées par erreur : critères 11.12 et 13.11 du RGAA 4 ;
  • prévenir les erreurs de saisie dans les formulaires : critère 11.10 du RGAA 4.

Tony Archambeau a aussi évoqué le recours à certaines technologies, telles que la dictée vocale, particulièrement utile pour les personnes illettrées, analphabètes ou ne parlant pas français, ou encore l’IA pour corriger des fautes dans les textes, proposer des suggestions de vocabulaire, etc.

Atelier « Je veux un VRAI sous-titrage ! 10 ans après » par Sophie Douvroy

En 2011, Sophie Drouvroy donnait déjà une conférence à Paris Web sur le thème « Je veux un VRAI sous-titrage ! ». Douze ans plus tard, l’usage de la vidéo sur Internet a continué son expansion, avec la publication quotidienne de millions de vidéos et de centaines d’heures de vidéos sur des réseaux sociaux comme TikTok, Twitch, YouTube, etc.

Autant de contenus qui restent, en écrasante majorité, inaccessibles aux personnes sourdes et malentendantes, alors que la technologie est prête pour tenir compte de l’accessibilité, et ne demande qu’à être utilisée avec soin ! Sous-titrer systématiquement tous les contenus vidéos permettrait aux personnes sourdes et malentendantes d’accéder à l’information ou au même divertissement que les autres.

Si, dans l’audiovisuel, la mise en forme des sous-titres obéit à des règles, en revanche sur le web, seul le RGAA 4 donne des indications sur le sous-titrage à travers les critères 4.3 et 4.4 relatifs à la présence et à la pertinence des sous-titres.

À travers une série d’exemples provenant des réseaux sociaux, Sophie Douvroy a invité le public à repérer les défauts de certains sous-titres : textes animés, textes se superposant à la bouche des personnes qui parlent et empêchant la lecture labiale, vitesse des sous-titres, contrastes insuffisants, etc.

Pourtant, le sous-titrage des vidéos est souvent présenté comme un bénéfice de l’accessibilité numérique qui profiterait « au plus grand nombre » : en réalité, toutes ces mauvaises pratiques de sous-titrage démontrent une nouvelle fois que les vidéos sont rarement conçues en tenant compte des besoins des personnes sourdes et malentendantes, qui se retrouvent perpétuellement exclues.

Enfin, Sophie Drouvroy a rappelé que les sous-titres automatiques ne peuvent pas être considérés comme des sous-titres pertinents. S’il est tout à fait possible de s’appuyer sur les intelligences artificielles pour générer automatiquement des sous-titres ou des transcriptions de contenus sonores, une relecture rigoureuse par un être humain est nécessaire.

Note : cet atelier n’a pas été filmé.

Conclusion

Ce qui nous a particulièrement plu pendant cette édition de Paris Web, c’est la diversité dans le choix des orateurs et des oratrices, mais aussi, et surtout, la présence de personnes concernées par le handicap s’exprimer sur des thématiques d’accessibilité, en particulier en ce qui concerne les handicaps auditifs.

Certes, certaines conférences consacrées à l’accessibilité numérique nous ont semblé très introductives, dédiées peut-être à un public qui ne serait pas encore à jour sur le sujet (par exemple : ARIA).

Nous leur avons préféré des présentations consacrées à des problématiques d’accessibilité plus spécifiques : nous les croisons moins souvent dans notre quotidien d’expertes en accessibilité numérique, parce qu’elles relèvent souvent du niveau AAA (triple A) des WCAG, comme le langage clair. Nous avons aussi été intéressées par des problématiques voisines de l’accessibilité numérique.

Par ailleurs, Paris Web est également une inspiration pour les conditions d’accueil du public et la mise en accessibilité d’un événement. Nous avons rarement vu une conférence web de plusieurs jours où l’accessibilité est prise en compte à différents niveaux : interprètes LSF (Langue des signes française) et vélotypie pour chacune des conférences, masques à disposition, etc.

En somme, nous vous recommandons d’assister au moins une fois à Paris Web ! Ce type d’évènement, comme A11y Paris, constitue une bulle agréable pour approfondir ses connaissances et tisser des liens avec d’autres professionnel·les du numérique qui s’intéressent de près à l’accessibilité.

À propos

  • Cécile Jeanne

    Experte accessibilité numérique

    Cécile Jeanne est experte accessibilité numérique chez Access42. Après une dizaine d’années en tant qu’intégratrice web et développeuse front-end en agences et en sociétés de service, Cécile Jeanne a rejoint notre Scop en 2020. Elle prend en charge des missions d’audit accessibilité et d’accompagnement accessibilité de nos clients. Elle anime notre formation « Développer des sites web accessibles et conformes au RGAA », et fait partie du jury évaluant les candidat·es à nos certifications en accessibilité numérique.

  • Maïa Kopff

    Experte accessibilité numérique

    Maïa Kopff est experte en accessibilité numérique chez Access42 depuis 2021, où elle réalise des missions d’audit accessibilité numérique et d’accompagnement en accessibilité. Polyvalente, elle anime aussi nos formations au développement et au design accessibles.

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