Quel est le message des internautes handicapés ? Interview de Marie Corbal, internaute sourde
En 2017, dans le cadre des élections présidentielles, Access42 donnait la parole à des internautes en situation de handicap qui désiraient s’exprimer sur l’accessibilité numérique. Ces retours d’expériences restent toujours d’actualité.
Le deuxième tour de l’élection présidentielle se tient dans quatre jours. À nous de mettre à profit ces quatre jours pour relayer le message des internautes handicapés aux deux candidats restants et pour sensibiliser aux problématiques de l’accessibilité numérique.
Aujourd’hui, Marie Corbal partage avec nous son expérience d’internaute sourde. Comme Emmanuelle précédemment, elle nous explique les obstacles qu’elle rencontre pour accéder au numérique, avec dans sa ligne de mire le manque de sous-titrage et de transcription en Langue des Signes Française (LSF).
Access42 : Marie, pouvez-vous vous présenter ?
Marie : Je suis Marie Corbal et je suis sourde de naissance. Tout un mystère sur l’origine de ma surdité m’entoure.
Depuis 2008, je suis chargée d’enseigner les matières littéraires (français, histoire et géographie) auprès d’adolescents sourds en inclusion dans des établissements ordinaires et à l’INJS (Institut National des Jeunes Sourds), un établissement spécialisé se trouvant à Gradignan.
En dehors de mes préoccupations professionnelles, je me consacre aux matériaux artistiques (écriture sous la forme de poésie, texte engagé, chronique musicale et photographie) et à l’adaptation en Langue des Signes Française (spectacle, chanson, poème) grâce aux rencontres lumineuses qui jalonnent mon chemin de vie.
Access42 : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans l’utilisation des sites web ?
Marie : Le manque d’accessibilité au niveau des sous-titres et de la LSF. C’est criant de vérité et c’est paradoxal puisque nous sommes au 21ème siècle, dans une société prônant à fond la communication orale et écrite.
Access42 : Qu’est-ce qui changerait dans votre vie si le web était accessible ?
Marie : Je me sentirais réellement comme une citoyenne lambda et je ne dépendrais plus de mon entourage familial et amical qui a toujours la délicatesse et la gentillesse de me rendre service pour me faire des résumés sur des vidéos où il n’y a ni sous-titrage ni LSF. Le jour où ce grand souhait se concrétisera la frustration et l’isolement s’envoleront. Je me sentirais donc beaucoup plus sereine et fonctionnerais moins en mode « alerte ».
En attendant, je compense non seulement par la lecture d’articles issues de sources différentes sur Internet, mais aussi par les échanges avec mon entourage amical et familial. J’ai cette chance là car je maîtrise la langue française écrite et orale. Quand je pense à certaines connaissances sourdes ayant comme première langue la LSF, je suis attristée de savoir qu’elles n’ont pas réellement accès au contenu de l’information écrite. D’où la nécessité d’avoir le réflexe d’insérer le sous-titrage et la LSF pour que l’égalité existe vraiment au sein de la communauté sourde. Cette question ne devrait même plus se poser !
Access42 : À votre avis, qu’est-ce qui coince ?
Marie : Ce qui coince encore aujourd’hui est d’une part, la méconnaissance du public vis-à-vis de la surdité, un handicap invisible avec ses limites et ses atouts. Il n’y a pas un sourd mais des sourds (oralisant, signant). Il n’y a pas une surdité mais des surdités. Les sourds sont fondus dans la masse et mènent diverses activités, comme vous tous !
C’est dû à un manque de sensibilisation et au tabou que génère la surdité depuis des siècles. D’où des préjugés tenaces existant depuis le 18ème siècle. Par exemple, aujourd’hui on considère encore les sourds comme des sourds muets. Cette expression est souvent relayée par les journalistes. Or grâce aux progrès sociaux, technologiques et médicaux les sourds peuvent, savent parler et s’inclure dans la société. La condition pour que nous ne nous sentions plus exclus et frustrés est d’avoir recours à une accessibilité complète (sous-titrage et LSF) dans les messages véhiculés par les médias (télévision, Internet, cinéma).
D’autre part, la qualité du sous-titrage me laisse souvent perplexe. J’ai parfois le sentiment qu’il y a un manque de motivation pour sous-titrer les vidéos sur Internet, voire un sous-titrage bâclé ou hors sujet. C’est ce qui explique pourquoi je me sens en « décalage » vis-à-vis de mon entourage
Access42 : Un message aux candidats à l’élection présidentielle et au-delà, au monde politique ?
Marie : Nous sommes tous sourds dans la société. Elle n’est qu’un cumul de handicaps et ne cesse d’en produire au quotidien. À vous de nous rendre la dignité en respectant la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 qui reconnaît que tous les êtres humains possèdent une « dignité inhérente » et qu’ils « naissent libres et égaux en droits et en dignité » ! Ce sera un bonheur pour nous d’avoir ce réel sentiment de liberté.
Retrouvez l’intégralité des témoignages d’internautes en situation de handicap et leurs messages aux candidats :
- Isabelle, consultante en accessibilité pour le compte de l’Insee et internaute malvoyante,
- Emmanuelle, développeuse .NET agile et internaute sourde,
- Dany, contrôleur des finances publiques à Caen et internaute aveugle,
- Damien, designer d’interfaces et développeur web à Amsterdam, faisant l’objet de troubles du spectre autistique et de troubles de l’attention.
- Pierre, responsable d’un espace public numérique accessible, la Céci-Base du Conseil Départemental de la Réunion, et internaute aveugle.
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