Quel est le message des internautes handicapés à l’approche des élections ? Interview d’Isabelle Ravet, consultante accessibilité malvoyante

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Cet article date de 2017, mais, hormis le contexte des élections présidentielles, son contenu est toujours d’actualité.

À l’occasion des élections présidentielles, nous voulons transmettre le message des personnes handicapées en matière d’accessibilité numérique à toutes les personnes à la présidence de la République.

Quoi de plus révélateur que la parole des personnes concernées qui utilisent le web ? Ce sont elles qui le parcourent tous les jours. Lorsqu’elles sont, au quotidien, dans une situation de handicap, le numérique, s’il est accessible, est censé leur donner les mêmes possibilités qu’à tous les autres internautes. Elles ne sont alors plus des internautes en situation de handicap, mais des internautes tout court.

En répondant à 5 questions, elles nous disent ce qui les gêne et ce qu’elles aimeraient changer.

Access42 : Aujourd’hui, c’est Isabelle Ravet qui a accepté de répondre à nos 5 questions. Isabelle, pouvez-vous vous présenter ?

Isabelle : Je suis Isabelle Ravet et j’ai presque un demi-siècle. Pourtant, à cause d’une maladie congénitale, les médecins de l’époque me donnaient 40 ans d’espérance de vie. Aujourd’hui, avec les progrès de la recherche médicale, j’ai rattrapé la moyenne nationale. Bien sûr, il y a cette forte malvoyance évolutive qui est la partie émergée de l’iceberg. Mais se dire régulièrement que le temps qui passe est un pied de nez à la maladie, c’est plutôt cool, non ? Oui, je suis d’une nature optimiste et volontaire. Ce sont ces deux traits de caractère qui me font avancer.

Dans le travail aussi d’ailleurs. Effectivement, consultante en accessibilité pour le compte de l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques), il faut plus qu’un brin d’optimisme pour ne pas baisser les bras devant la tâche immense qu’il reste à accomplir avant que l’ensemble des documents, sites ou applications de l’Institut, soient accessibles à tous.


Access42 : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans l’utilisation des sites web ?

Isabelle : Principalement des problèmes concernant les formulaires. Lorsqu’on utilise un zoom pour lire son écran, on découvre le contenu de manière parcellaire, comme avec une loupe. Du coup, il m’est souvent difficile de retrouver le ou les champs qui sont mal renseignés.

Autre truc énervant, la case qu’il faut absolument cocher pour poursuivre une commande mais qu’on ne trouve jamais ! Et que dire des sites qui vous envoient de la pub avec une bande son qui vous empêche d’entendre le lecteur d’écran et qu’on ne sait pas comment arrêter ou fermer, je les boycotte en leur adressant un courrier.

Le web devient de plus en plus incontournable pour l’administratif, la gestion courante du quotidien (banque, courses, déplacements, loisirs, etc.) et souvent c’est un grain de sable, comme un captcha inaccessible, qui bloque toute la machine. Revenir aux formulaires papier est une régression majeure pour un déficient visuel, obligé de demander à une tierce personne de le faire à sa place !


Access42 : Qu’est-ce qui changerait dans votre vie si le web était accessible ?

Isabelle : Ce qui changerait ma vie, c’est de faire comme tout le monde : visiter un site ou télécharger une application et décider de le quitter ou de la supprimer parce que le contenu ne m’intéresse pas !

Bref, j’aimerais ne plus me poser la question de l’accessibilité. Et si j’étends ce questionnement aux objets connectés, à la domotique par exemple, c’est encore plus frustrant de constater que nombre d’entre eux pourraient être forts utiles s’ils étaient accessibles.


Access42 : À votre avis, qu’est-ce qui coince ?

Isabelle : Je crois que, globalement, notre société a peur du handicap et fait tout pour éviter le contact. Ce comportement est à mon avis dicté par la méconnaissance de l’autre avec sa différence et ses difficultés.

L’autre difficulté, c’est de peser uniquement 10 à 15% de la population. Et notre pouvoir d’achat n’est pas assez lourd pour intéresser les grands groupes. Cependant, l’augmentation de la durée de vie pourrait changer la donne à plus ou moins longue échéance.


Access42 : Un message aux candidats à l’élection présidentielle et au-delà, au monde politique ?

Isabelle : Un message… c’est compliqué ! Depuis la Loi de 2005, j’ai bien sûr constaté des améliorations. Malheureusement, la petite chanson « Trois pas en avant, deux pas en arrière… » me trotte dans la tête trop souvent.

Mesdames et Messieurs les politiques, la richesse d’une société se trouve dans ses différences. Pourquoi s’en priver ? Quand allez-vous permettre que les handicapés puissent accéder à l’éducation, à l’emploi et au vote comme tout citoyen de ce pays ?

Au vu de vos sites Internet, ce n’est pas encore pour demain. En tant que personnalité publique et potentiel·le Président·e de la France, n’auriez-vous pas dû respecter la Loi Numérique de 2016 ?

Témoignages de personnes en situation de handicap

Ne manquez pas les autres témoignages de cette série :

  • Emmanuelle Aboaf, développeuse .NET agile et internaute sourde 
  • Dany Lejolivet, contrôleur des finances publiques à Caen et internaute aveugle 
  • Damien Senger, designer d’interfaces et développeur web à Amsterdam, faisant l’objet de troubles du spectre autistique et de troubles de l’attention ;
  • Pierre Reynaud, expert accessibilité numérique aveugle ;
  • Marie Corbal, enseignante sourde 
  • Guillaume Huéber, étudiant ayant des difficultés de lecture.

À propos

  • Équipe Access42

    Access42 est un cabinet de conseil français spécialisé en accessibilité numérique. Ses services incluent des audits d’accessibilité (RGAA, WCAG, RAAM, norme européenne EN 301 549), de l’accompagnement personnalisé ainsi que des formations à l’accessibilité adaptées à tous les métiers du numérique.

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Donnons la parole aux internautes handicapés !
Bonjour,
Je suis non-voyant et habite à Issy-les-Moulineaux, ville qui utilise, depuis 2007 si ma mémoire ne me trahit pas, des machines à voter inaccessibles aux personnes handicapées visuelles.
Après m’être tu et avoir subi cette entrave au droit de vote depuis toutes ces années, j’ai décidé de dénoncer une violation manifeste et caractérisée du droit de vote car je considère que cette situation est scandaleuse et porte directement atteinte aux règles essentielles de notre démocratie. L'urgence de ma démarche est d'autant plus avérée que se rapprochent les échéances des élections présidentielles et législatives, qui auront lieu en avril, mai et juin 2017. Une personne handicapée ne doit pas être obligée de communiquer à un tiers, fût-il de confiance, le vote auquel elle entend procéder, c’est de l’infantilisation, ni plus, ni moins, alors qu’une personne handicapée visuelle est un sujet libre qui devrait avoir la possibilité, comme tout citoyen, de voter en parfaite autonomie et dans le respect du secret et de la confidentialité du vote. Or, c’est exactement le contraire qui se produit dans les bureaux de vote de cette ville en raison des machines à voter qui y sont installées, ce qui constitue une violation grave de l’égalité et de la confidentialité du vote. En effet, l’utilisation de ces machines inaccessibles porte directement atteinte à l’article 3 de la Constitution, qui proclame que le suffrage « est toujours universel, égal et secret ». L’instrument garantissant la mise en œuvre du secret et de la confidentialité du vote, c’est l’isoloir dans lequel, précisément, la personne est seule et fait son choix sans être observée par les autres. En outre, selon l’article L. 57-1 du code électoral : « Des machines à voter peuvent être utilisées dans les bureaux de vote des communes de plus de 3 500 habitants figurant sur une liste arrêtée dans chaque département par le représentant de l'Etat. Les machines à voter doivent être d'un modèle agréé par arrêté du ministre de l'Intérieur et satisfaire aux conditions suivantes :
- comporter un dispositif qui soustrait l'électeur aux regards pendant le vote ;
- permettre aux électeurs handicapés de voter de façon autonome, quel que soit leur handicap (…) ».
Il est inutile d’insister sur le fait que les machines équipant les bureaux de vote de la ville d’Issy-les-Moulineaux ne permettent en aucun cas à un déficient visuel de voter de manière autonome puisque l’assistance d’un tiers est nécessaire pour effectuer le choix du candidat puis pour valider le vote. Au contraire, avec le vote papier, nous recevions les bulletins à notre domicile, ce qui me permettait de préparer mon vote à l’avance en mettant de côté le bulletin voulu. Je souhaitais donc par ce message alerter à la fois les pouvoirs publics et les organismes qui luttent pour que les personnes handicapées puissent accéder de manière permanente et définitive aux libertés fondamentales et aux droits essentiels, dont le droit de vote constitue à l'évidence la clé de voûte. Or, l'utilisation de ces machines à voter par la ville d'Issy-les-Moulineaux constitue une véritable discrimination, d'autant plus inadmissible que cette carence dure maintenant depuis 10 ans, période durant laquelle la ville n'a pas à ma connaissance tenté de résoudre cette difficulté en s'équipant de machines accessibles ou tout simplement en revenant au vote papier, à l'instar de l'immense majorité des communes françaises. si l’on pensait que les problèmes d’accessibilité des bureaux de vote étaient résolus, il y a au moins une commune où ce n’est pas le cas depuis au moins 10 ans et qui n’est manifestement pas soucieuse que ses résidents handicapés soient considérés comme des citoyens à part entière et qui préfère les traiter avec un mépris, un paternalisme et une condescendance d'un autre âge. Si d'autres personnes, habitant dans cette commune ou dans une autre, se trouvaient confrontées à la même difficulté, il me semble que le moment est venu de nous manifester pour faire valoir et respecter nos droits!
Didier Le Hénaff.

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