Réforme à la sauvette des lois en matière d’accessibilité numérique
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Les États membres de l’Union Européenne ont jusqu’à septembre 2018 pour transposer la directive européenne sur l’accessibilité (« European Accessibility Act ») dans leur législation nationale.
Dans ce contexte, un article du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel [1] propose de réformer l’article 47 de la loi « Handicap » de 2005.
Cette proposition inaugure une régression particulièrement importante des droits des personnes handicapées. Elle est en totale contradiction avec la réforme prévue dans la loi République numérique de 2016 et les actions récentes du Défenseur des droits.
Une loi sur l’assurance-chômage, la formation et l’apprentissage pour réformer l’accessibilité numérique
C’est un bien curieux attelage que nous avons découvert cette semaine lors de la présentation du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
En effet, cette loi contient un article (le 45), ajouté tardivement, qui se propose de réécrire une très grande partie de l’article 47 de la loi « Handicap » de 2005, lui-même réécrit par la loi pour une République numérique de 2016.
Régression et restriction
Alors que la réécriture proposée par la loi pour une République numérique avait élargi, étendu et renforcé la loi « Handicap » de 2005, le projet d’article 45, tel qu’il est proposé, restreint plusieurs objectifs définis auparavant.
Voici en résumé les principales raisons de s’inquiéter, de s’émouvoir et, nous l’espérons, de réagir à ce qui se présente comme une véritable régression des droits des personnes en situation de handicap.
1. Un catalogue d’exceptions
La transposition de la directive européenne est réalisée au moyen du copier-coller de la longue liste d’exceptions à l’obligation d’accessibilité. Pour en savoir plus, je vous invite à lire l’article premier de la directive européenne.
Parmi celles-ci, deux exceptions constituent une régression importante par rapport aux obligations définies par la loi française :
Les vidéos pré-enregistrées
[La présente directive ne s’applique pas aux sites internet et applications mobiles suivants:]
« Les médias temporels préenregistrés publiés avant le 23 septembre 2020. »
Il s’agit de l’institutionnalisation d’un véritable trou noir pour les personnes en situation de handicap puisque les vidéos publiées avant le 23 septembre 2020 n’auront jamais l’obligation d’être accessibles. Il faut insister sur le fait que cette exception est définitive.
La France choisit donc d’interdire l’accès à ces informations pour les personnes en situation de handicap, les personnes sourdes et malentendantes notamment. Cela peut évidemment poser des problèmes importants. Lorsque l’information contenue dans une vidéo (par exemple, un tutoriel ou des instructions) s’avérerait indispensable à l’accomplissement d’une tâche. De même, tous les cours en ligne — proposés par certaines institutions, universités, etc. — n’auraient plus à être rendus accessibles s’ils ont été publiés avant septembre 2020.
C’est d’autant plus regrettable que la transcription ou le sous-titrage des vidéos ne présentent aucune difficulté technique et que le coût est très raisonnable. Il est vrai qu’il peut y avoir des questions de volumes à traiter ou de complexité de production, mais le dispositif de dérogation pour aménagement raisonnable
suffisait pour traiter ce genre de complexité.
Intranet et extranet
[La présente directive ne s’applique pas aux sites internet et applications mobiles suivants:]
« Le contenu d’extranets et d’intranets, à savoir de sites internet qui ne sont accessibles qu’à un groupe restreint de personnes et non au grand public, publié avant le 23 septembre 2019 jusqu’à ce que ces sites internet fassent l’objet d’une révision en profondeur. »
Cet article propose donc d’exclure du champ d’application tous les sites et applications intranet et extranet publiés avant septembre 2019 jusqu’à la prochaine révision en profondeur.
Cela pose tout d’abord un problème de fond ; les cycles de vie des applications métiers sont très différents de ceux d’un site web et sont généralement beaucoup plus longs.
Par ailleurs, la notion de révision en profondeur est très ambiguë. La plupart des applications métiers ne sont pas changées régulièrement, elles suivent des cycles d’évolution lente à partir d’un cœur d’application unique. Par exemple, est-ce qu’un changement de version mineure [2] serait suffisant pour déclencher l’obligation d’accessibilité ?
Difficile de se prononcer sans ce genre de détail, mais cette exception pourrait avoir comme conséquence que des pans entiers de l’administration resteraient encore, pour de très longues années, inaccessibles aux salariés handicapés.
De manière ironique d’ailleurs, nous pouvons nous retrouver dans la situation de rendre accessibles des offres de recrutement pour des postes dont les logiciels, eux, ne seront pas accessibles.
2. Harmonisation minimale
La directive européenne est le résultat d’un compromis entre les différentes contraintes de chaque État membre. Cela a naturellement tendance à tirer les exigences vers le bas.
Dans son article 2, la directive parle ainsi d’harmonisation minimum :
« Les États membres peuvent maintenir ou introduire des mesures conformes au droit de l’Union qui vont au-delà des exigences minimales établies par la présente directive en matière d’accessibilité des sites internet et des applications mobiles. »
Dans le point (34) de son préliminaire, il est fait mention des intranets et extranets :
« Les États membres devraient pouvoir étendre l’application de la présente directive à d’autres types de sites internet et d’applications mobiles, en particulier aux sites intranet ou extranet et aux applications mobiles qui ne relèvent pas de la présente directive, conçus pour un nombre limité de personnes et utilisés par un nombre limité de personnes sur le lieu de travail ou dans l’enseignement […]. »
En réalité, cet article de loi transpose uniquement les dispositions qui minimisent ou restreignent les dispositifs prévus par la loi République numérique.
3. Pas de consécration du devoir d’assistance à l’utilisateur
La directive européenne consacre dans le droit le devoir d’assistance à l’utilisateur :
[Au sujet de la déclaration de conformité :]
« Cette déclaration comprend:
a) une explication sur les parties du contenu qui ne sont pas accessibles et les raisons de cette inaccessibilité et, le cas échéant, une présentation des alternatives accessibles prévues;b) la description d’un mécanisme de retour d’information et un lien vers ce mécanisme pour permettre à toute personne de notifier à l’organisme du secteur public concerné toute absence de conformité de son site internet ou de son application mobile avec les exigences en matière d’accessibilité énoncées à l’article 4 et de demander les informations exclues en vertu de l’article 1er, paragraphe 4, et de l’article 5; et
c) un lien avec la procédure permettant d’assurer le respect des dispositions prévues à l’article 9 à laquelle il peut être recouru dans le cas où une réponse non satisfaisante est apportée à la notification ou à la demande. »
Actuellement, ces dispositions font partie des conditions d’application du RGAA (4.2.6.4. Droit à la compensation). Toutefois, il s’agit de dispositions réglementaires qui n’ont pas la même force qu’une loi.
Il aurait été formidablement utile et important, sur le fond comme sur la forme, que ce devoir d’assistance à l’utilisateur soit introduit dans la loi elle-même. Cela aurait au minimum permis de mettre sur un pied d’égalité les nouvelles restrictions d’application proposées par l’article 45 et la consécration du devoir d’assistance. Cet effort minimum n’a pas été fait.
Minimum syndical
La France pouvait s’enorgueillir de bénéficier d’un dispositif législatif et réglementaire qui prenait en charge et, surtout, reconnaissait le droit fondamental des personnes en situation de handicap à être des citoyennes comme les autres.
Grâce au formidable travail de la DINSIC, qui, en l’espace de trois ans, a réussi à bâtir avec le RGAA un encadrement technique et pédagogique hors normes et sans équivalent, la France s’était dotée des moyens de ses ambitions.
L’article 45 proposé remet en cause ce fragile édifice, dont on constatait pourtant les premiers effets dans l’administration avec le début d’une prise de conscience des enjeux de l’accessibilité numérique.
Conclusion : changer de regard ?
Souvenez-vous de la loi République numérique ; il s’agissait de « co-écrire » une loi ayant fait l’objet d’une immense consultation publique et de débats parfois passionnés. Cela avait plutôt bien fonctionné : malgré quelques défauts, cette loi mettait en place de véritables avancées [3].
Un an et demi est passé et, alors que l’article 47 de la loi « Handicap » et l’article 106 la loi République numérique correspondaient déjà aux dispositifs demandés par la directive, on profite d’une obligation de transposition pour réformer à la sauvette un article de loi fondamental pour les personnes handicapées.
Il reste à espérer que les associations représentatives et les personnes handicapées sauront se faire entendre. Les délais sont très courts ; l’article a été présenté à peine 10 jours avant que la loi ne passe en Conseil des ministres le 27 avril prochain.
En ce moment, on nous parle beaucoup de la nécessité de « changer le regard de la société sur le handicap », attention toutefois à ce que cela ne consiste pas uniquement à regarder ailleurs.
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