Suivre une formation quand on est aveugle : un pari dur à gagner

Cet article a été écrit en 2020, mais son contenu reflète des difficultés globales qui restent hélas tout à fait d’actualité aujourd’hui.

Le 25 mai 2018 entrait en vigueur le Règlement Général sur la protection des Données, RGPD. Afin de répondre aux contraintes réglementaires, je me suis portée volontaire pour accomplir la mission de déléguée à la protection des données (DPD) chez Access42.

Cet article relate le long chemin parcouru pour réussir à m’inscrire et à suivre cette formation puis à passer la certification.

1. Choix de la formation

La première étape a été de trouver une formation accessible, puisque je suis aveugle et que je me sers d’un lecteur d’écran.

Ce fut la tâche de l’une de mes collègues qui a contacté plusieurs organismes de formation proposant un cours sur la qualité de déléguée à la protection des données et au RGPD. Sur les quatre organismes contactés, un seul a cherché à répondre favorablement à notre demande.

La responsable du centre de formation a mis beaucoup d’énergie à recueillir mes besoins puis à valider avec son équipe que les prérequis techniques pourraient être respectés. Après plusieurs échanges, nous avons convenu que je m’inscrirais à l’une de leurs sessions.

2. Inscription à la formation dans un contexte de Covid 19

Quelques semaines avant la date de la formation, en raison de la situation sanitaire, la formation en présentiel a été modifiée pour une formation à distance.

Je devais donc m’assurer que l’outil de visioconférence soit accessible, tout comme le support de cours.

3. Test de l’accessibilité de l’outil de conférence

J’ai testé avec la responsable du centre de formation l’outil GoToMeeting, dont je n’avais jamais entendu parler.

J’ai d’abord téléchargé l’application de bureau. Mon lecteur d’écran annonçait « inconnu » et ne me donnait pas la possibilité d’accéder aux boutons de connexion et de contrôle de la conférence. Je me suis donc connectée par téléphone et ma fille m’est venue en aide pour établir la connexion dans l’application.

Suite à cette expérience décevante, j’ai posé la question sur Twitter. J’ai rapidement reçu une réponse de GoToMeeting : on m’a conseillé d’utiliser l’application web de GoToMeeting sur Chrome qui était tout à fait exploitable.

Grâce à des raccourcis clavier, je pouvais facilement couper ou rallumer mon micro ou ma caméra, et saisir des informations dans l’outil de discussion. [1]

4. Accessibilité du support de cours

Le second problème de taille à résoudre était l’accès au support de cours.

Quelques jours avant la formation, j’ai reçu les documents au format PDF. Il s’agissait de captures d’écran du diaporama avec une grande quantité d’informations textuelles au-dessous.

J’ai essayé de le numériser avec des outils de reconnaissance de caractères, de les convertir avec un outil en ligne de conversion de PDF vers Word, mais le résultat n’était pas exploitable.

Les fichiers téléchargés par l’intermédiaire de l’application du centre de formation, « Kate », donnaient le même résultat.

J’ai pu avoir accès au support de cours destiné au formateur. Il s’agissait, à première vue, de fichiers PowerPoint dont j’espérais qu’ils soient à peu près lisibles. Après ouverture de ces fichiers, il s’avérait que le contenu aussi bien que la navigation dans le diaporama étaient eux aussi inaccessibles…

L’une de mes collègues a finalement passé trois jours à rendre accessibles les supports des quatre journées de cours.

Il s’agissait non seulement de les structurer à l’aide de titres, afin d’atteindre plus rapidement les différentes parties du document, mais aussi de ressaisir à la main les textes contenus dans les captures d’écran. Elle a également utilisé la dictée vocale d’Office 365 pour saisir ces contenus plus rapidement.

5. Déroulement de la formation

La formation en elle-même s’est très bien déroulée. Nous étions 4 participant·es et le formateur était à l’écoute. Ses explications étaient limpides et nous avons pu faire de nombreux exercices pratiques.

Il nous a fourni d’autres documents qu’il avait créés et qui étaient beaucoup plus accessibles. Il a reconnu que le support de cours était améliorable et nous a informés que l’organisme de formation travaillait sur une nouvelle version qui n’existait pour l’instant qu’en anglais.

J’ai pu sans aucune difficulté utiliser GotoMeeting, échanger par écrit avec le groupe et piloter ma caméra et mon micro.

La formation se terminait par un examen. Mais l’accès à cet examen a également été compliqué.

6. Planification de l’examen

Le formateur m’avait conseillé de passer l’examen en présentiel, dans le centre de formation, mais je ne souhaitais pas avoir recours à l’examen sur papier et donc avoir besoin d’une tierce personne. Je souhaitais le passer en toute autonomie.

L’examen n’était pas géré par l’organisme de formation auprès duquel on m’avait inscrite, mais par un organisme situé au Canada.

Il a tout d’abord fallu fournir un document indiquant mon handicap et mon besoin de disposer d’une aide pour passer l’examen. J’ai dû remplir un formulaire expliquant pourquoi je souhaitais des aménagements.

Afin d’obtenir la procédure exacte, j’ai dû poster un ticket en anglais sur l’interface de l’organisme.

Suite à plusieurs échanges en anglais, j’ai appris que l’interface de l’examen n’était pas accessible pour quelqu’un qui utilise un lecteur d’écran, et que je devrais dicter mes réponses à une personne de confiance qui pourrait aussi me lire les questions.

La collègue qui m’était déjà venue en aide sur ce dossier s’est gentiment proposée pour faire office de scribe. Pour cela, elle a rempli une attestation sur l’honneur qu’elle ne connaissait pas le domaine et ne passerait pas non plus la certification dans les prochains mois.

Après réception de tous ces documents, l’organisme m’a autorisée à candidater pour l’examen.

Ensuite, j’ai pu créer mon profil de candidate : cela consistait à prendre une photo de soi à l’aide de la caméra de l’ordinateur et une autre photo de sa carte d’identité sans montrer les informations personnelles telles que les coordonnées et la date de naissance.

Mon profil a tout d’abord été refusé car la photo ne remplissait pas tous les critères. J’ai encore dû demander de l’aide pour prendre les photos répondant à leurs exigences.

Une fois le profil accepté, il a été possible de programmer la date de l’examen. Surprise agréable, les propositions de dates étaient, elles, accessibles et la programmation de l’examen assez aisée.

7. Passage de l’examen

Outre l’angoisse de l’examen, nous avons dû faire face à de nouvelles difficultés techniques le jour J.

En effet, l’organisme exigeait que nous n’ayons qu’un seul ordinateur équipé d’une caméra pouvant filmer à 360°. Bien que les directives stipulaient que nous devions utiliser une caméra externe, la webcam de l’ordinateur a suffi.

Cependant, il était nécessaire d’installer une application spécifique, qui permet à la « surveillante » de voir notre environnement, et qui bloque l’accès à toutes les autres applications de l’ordinateur.

Or, ladite application étant incompatible avec le Mac de ma collègue, nous avons dû prendre en urgence un PC libre tournant sous Windows. Nous y avons connecté un clavier externe de façon à pouvoir respecter les distanciations sociales.

Malgré tout, j’ai été autorisée à me servir de ma plage braille et de mon ordinateur, que j’ai mis en mode avion. J’avais juste accès à mes notes et au RGPD, téléchargé sur le site d’Eurolex.

Ce dernier n’est pas structuré correctement : l’absence de titres dans le document m’a empêchée d’aller rapidement à un chapitre, une section, un article, et m’a fait perdre énormément de temps.

J’ai contourné ce problème grâce au raccourci CTRL+F, qui permet de faire une recherche de texte dans une page.

En tant que personne handicapée devant dicter mon travail à une tierce personne, j’aurais dû avoir le droit à un tiers temps supplémentaire, donc 4 heures au lieu de 3. Néanmoins, le système d’examen ne prévoyait pas la possibilité de prolonger le temps de l’examen : l’application coupe automatiquement une fois le temps imparti terminé.

Nous avons donc dû nous limiter aux trois heures prévues ordinairement pour l’examen. La qualité de mes réponses en a donc pâti : si j’ai pu répondre à toutes les questions, il n’y avait plus de temps pour la relecture, ni pour la correction de tournures ou de fautes de frappe. C’est excessivement frustrant de passer un examen dans ces conditions.

Conclusion

La participation à cette formation a été un vrai « parcours du combattant ». Dans un contexte inaccessible, il est difficile de suivre une formation classique dans de bonnes conditions.

C’est pourquoi je salue les dispositions de réforme de la formation professionnelle qui stipulent que « Le prestataire mobilise les expertises, outils et réseaux nécessaires pour accueillir, accompagner/former ou orienter les publics en situation de handicap » [2].

En faisant le compte du temps passé à se renseigner sur l’accessibilité de la formation, pour trouver des solutions de conférence utilisables et la mise en accessibilité du support de cours, nous avons passé autant sinon plus de temps que la formation en elle-même, c’est-à-dire au moins 5 jours.

Suite à cette expérience, j’espère que l’organisme rendra cette formation et toutes les procédures connexes accessibles.

En passant l’examen, bien que je dispose d’une technologie performante – un ordinateur moderne équipé d’un lecteur d’écran efficace et d’une plage braille –, je me suis vue revenir des années en arrière, du temps où je passais mon bac, où je n’avais pas d’ordinateur et j’avais dû avoir recours à une tierce personne pour écrire mes réponses aux examens.

Malgré toutes ces embûches, j’ai eu la joie d’apprendre que j’ai réussi l’examen et que je peux faire ma demande de certification en tant que déléguée à la protection des données.

Je remercie tout particulièrement la collègue qui m’a aidée tout au long de cette formation, ainsi que la responsable de l’organisme de formation qui a fait son possible pour trouver des solutions. Enfin, je remercie le formateur qui était très à l’écoute et nous a prodigué de précieux conseils pour nous permettre de réussir.

Notes

  • [1] Le raccourci Alt+m permet d’activer ou de désactiver le micro, Alt+v d’activer ou de désactiver la vidéo.
  • [2] Voir l’indicateur 26 (critère 6) du Référentiel national qualité, publié le 08/07/19 – mise à jour 28/02/20. Si Access42 a obtenu la certification Qualiopi, une marque du Ministère du Travail qui reconnaît la qualité des prestataires d’actions de formation professionnelle, au quotidien nous faisons évidemment bien plus que ça : nous mettons tout en œuvre pour répondre aux besoins des personnes en situation de handicap qui souhaitent se former à l’accessibilité numérique avec nous.

Publié le 21 juillet 2020 – Mis à jour le 04 septembre 2023

Catégorie : Handicap

Tags : Handicaps visuels, Témoignages

À propos

  • Sylvie Duchateau

    Experte accessibilité numérique

    Sylvie Duchateau a travaillé au sein d’Access42 de 2014 à 2024 en tant que consultante en accessibilité numérique et formatrice. Aveugle, Sylvie a développé une véritable expertise dans la maîtrise des technologies d’assistance : c’est pourquoi elle animait notamment nos formations aux lecteurs d’écran. Sylvie a par ailleurs contribué à traduire en français les WCAG 2.0 et 2.1.

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