Trouble de l’attention avec hyperactivité : interview de Myriam Jessier, experte SEO et Analytics neurodivergente
Pour comprendre le handicap, quoi de mieux que consulter les témoignages de personnes concernées ?
Aujourd’hui, gros plan sur le trouble de l’attention avec hyperactivité (TDAH), grâce au retour d’expérience généreux de notre consœur Myriam Jessier, experte SEO et consultante en marketing technique, qui vient justement de fonder l’agence Neurospicy (« neuro-épicée »).

Myriam aborde sans détour les défis que pose son TDAH dans le cadre de son travail et de sa vie quotidienne. Elle démontre aussi que sa neuroatypie lui offre des opportunités créatives et professionnelles taillées sur mesure.
Cerise sur le gâteau : Myriam partage quelques conseils et astuces qui lui simplifient la vie en tant que personne concernée par le TDAH.
Dans cette interview, vous y trouverez aussi quelques idées pour adapter vos contenus aux personnes neurodivergentes.
Pour lire plus de témoignages, retrouvez toutes les interviews que nous avons réalisées de personnes handicapées grâce à notre tag « Témoignages ».
Bonne lecture !
La neurodiversité englobe de nombreux troubles cognitifs, dont le trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH/TDA). Selon la Haute Autorité de Santé, le TDAH s’exprime à travers 3 symptômes, dont l’intensité varie selon la personne :
- le déficit de l’attention : l’incapacité à maintenir son attention, à terminer une tâche, les oublis fréquents, la distractibilité ou le refus ou évitement de tâches exigeant une attention accrue ;
- l’hyperactivité motrice : une agitation incessante, l’incapacité à rester en place lorsque les conditions l’exigent ;
- l’impulsivité : la difficulté à attendre, le besoin d’agir, la tendance à interrompre les activités des autres.
Le témoignage de Myriam Jessier nous aide à comprendre l’impact de ces symptômes sur son quotidien, elle qui utilise de nombreux outils numériques dans le cadre de son travail.
Access42 : Bonjour Myriam ! Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Myriam Jessier : Bonjour, moi c’est Myriam Jessier. Je parle 3 langues couramment, et 2 autres langues à un niveau Duolingo.
J’adore les dinosaures, les poulpes, et manger.
Je suis nomade : en moyenne, je visite 13 villes par an.
Access42 : En quoi consiste ton métier ?
Myriam Jessier : J’ai un emploi étrange. Je travaille en SEO et en Analytics. Une partie de mon travail consiste à m’assurer que les sites peuvent être découverts par les moteurs de recherche.
L’autre partie de mon travail consiste à analyser des données collectées par mes clients, l’objectif étant d’en tirer des conclusions pour les aider à prendre des décisions d’affaires qui s’appuient sur des éléments concrets.
Access42 : Par quel handicap es-tu concernée ?
Myriam Jessier : Je suis TDAH. J’ai été diagnostiquée très tôt, à l’âge de maternelle comme un « enfant zèbre » [1] et TDAH (c’est-à-dire ayant un trouble de l’attention avec hyperactivité). Aujourd’hui, je suspecte très fortement d’être aussi autiste, mais c’est dur d’obtenir un diagnostic à mon âge.
Au niveau physique, j’ai plusieurs problèmes de santé chroniques qui font que je ne suis pas toujours en mesure de me tenir debout, de marcher ou de m’asseoir devant un bureau pendant plusieurs heures.
Access42 : Quels termes utilises-tu pour dire que tu es concernée par ce handicap ?
Myriam Jessier : J’aime rire avec les anglophones en disant que je suis « an invisible cripple » (« une éclopée invisible », NDLR). Ce n’est pas un joli terme, mais phonétiquement, c’est assez drôle et mémorable. Cela signifie que je suis une personne avec des handicaps difficiles à percevoir de premier abord.
Mon point de vue est très différent de la moyenne. J’ai toujours souffert de mes différences, mais après avoir longtemps tenté, en vain, de les camoufler, j’ai fini par accepter de vivre avec des douleurs chroniques, des difficultés au niveau de la coordination, de ma mémoire et de la régulation de mes émotions.
Je ne suis pas comme tout le monde, mais cela ne veut pas dire que je vaux moins que les autres ; cela veut juste dire que je fonctionne différemment.
Ma neurodivergence, je la vis beaucoup mieux depuis que je suis claire sur mon TDAH avec mes interlocuteurs. La plupart du temps, on en rigole, car c’est l’une des raisons qui font mon succès sur le plan professionnel.
Certaines clientes m’ont embauché, car elles souhaitaient spécifiquement travailler avec quelqu’un de TDAH, parce qu’elles le sont aussi.
En effet, une étude scientifique [2] a démontré que les chaînes de communication se brisent dès qu’une personne neurotypique (c’est-à-dire qui n’est pas concernée par la neurodivergence, NDLR) se greffe aux échanges que peuvent avoir les personnes autistes entre elles, et vice-versa.
Pour ces clientes, travailler avec moi leur permet de communiquer sans avoir à ajuster en permanence ce qu’elles disent.
Access42 : Dans les grandes lignes, quelles sont les difficultés que tu rencontres ?
Myriam Jessier :
- Je n’ai pas une bonne notion du temps.
- J’ai du mal à remplir des formulaires. Remplir ma déclaration d’impôts, par exemple, ça me fait pleurer.
- Je ne sais jamais où est mon téléphone ni où sont mes clés ou ma carte de crédit. J’ai aussi le don de toujours oublier quelque chose quand je suis en voyage.
- Il me faut un effort surhumain pour ne pas interrompre les gens.
Access42 : Pour ton travail, tu utilises beaucoup d’outils numériques. Peux-tu donner quelques exemples d’obstacles que tu rencontres et qui sont liés à ces outils de travail numériques ?
Myriam Jessier : De manière générale, un rien me déconcentre. Par exemple, je ne peux pas m’empêcher de regarder ma boîte Gmail toutes les cinq secondes.
J’utilise ChatGPT pour poser toutes les questions incroyables et inattendues qui me passent par la tête. Dans mon navigateur, j’ai toujours une tonne d’onglets ouverts avec beaucoup de distractions à portée de clic.
Mais le plus grand obstacle, pour moi, c’est le remplissage de formulaires. C’est toujours un parcours du combattant, quel que soit l’outil.
Si la première question du formulaire est complexe, par exemple, c’est mort : je sais que je n’y arriverai pas. Si je ne sais pas combien de temps le remplissage du formulaire va nécessiter, je sais que je vais vite lâcher et être distraite par autre chose.
Si la question est formulée de manière complexe, et que je dois trop réfléchir pour donner une réponse, c’est raté aussi.
Lorsque le formulaire me pose une question et me propose 3 réponses possibles, j’agonise en tentant de comprendre ce que l’on attend de moi.
En somme, remplir chaque formulaire me fait perdre beaucoup d’énergie pour quelque chose qui, en fin de compte, ne m’apporte aucun plaisir ni aucune stimulation positive.
Si l’on me demande des informations que je n’ai pas en tête et que je dois rechercher ailleurs, comme des numéros de compte bancaire, je sais que je vais finir par être distraite et ne jamais revenir au formulaire.
Par exemple, émettre une facture avec QuickBooks, c’est un cauchemar pour moi. À chaque fois, je suis censée fournir beaucoup d’informations : code et nom officiel de l’entreprise cliente, nom de mon contact là-bas, etc.
Ensuite, je dois retourner chercher dans mes e-mails ce que ce client et moi nous nous étions dit à propos de la facturation, car, si je n’ai pas de devis dans QuickBooks, oups, c’est perdu : je ne sais plus où retrouver l’information.
Enfin, si j’ai des heures à décompter d’un forfait par exemple, alors là, bon courage ! Il faut alors que je retourne chercher toutes les informations éparpillées dans Google Calendar, parce que la fonctionnalité proposée par QuickBooks pour décompter ses heures n’est pas intuitive du tout.
Access42 : Comment as-tu adapté ta méthode de travail à tes besoins ?
Myriam Jessier : J’ai bâti une carrière dans le conseil et la formation, ce qui se prête bien à ma façon de travailler et à ma façon de penser.
En effet, je travaille dans une industrie qui change tout le temps. Il faut toujours se tenir au courant et être à jour.
Ma tendance à l’hyperfocus [3] est donc monétisable : plus je me spécialise dans certains aspects jugés trop complexes pour les autres, plus mes connaissances et mes prestations prennent de la valeur.
Ma tendance à me disperser fait que je suis tout le temps à jour, ce qui est un trait très recherché dans mon industrie.
Par ailleurs, le fait que je ne sois pas toujours en mesure de me tenir debout m’amène parfois à participer à des réunions avec la caméra éteinte.
Enfin, je suis formatrice depuis plus de 8 ans, car cela se prête très bien à ma capacité à vulgariser tous les concepts complexes que je maîtrise. En effet, je sais ce que ça fait de ne pas capter l’information parce que la façon dont elle est présentée n’est pas assez motivante.
Quand tu es TDAH, tu ne traites pas l’information comme le reste du monde : c’est pourquoi tu as besoin d’une stimulation intellectuelle pour trouver de la motivation.
En tant que formatrice, je suis sensible aux signes émis par les personnes que je forme : dès qu’ils décrochent, je le perçois, et je m’adapte jusqu’à ce que l’information rentre. C’est ce que les gens apprécient dans mes formations.
Une personne neurotypique n’a pas l’habitude de devoir réexpliquer ses pensées 40 fois pour être sûre d’être comprise, a priori. Moi, oui, et c’est un atout dans mon métier.
Access42 : Peux-tu citer quelques exemples d’adaptations et d’outils qui te facilitent la vie ?
Myriam Jessier : Au niveau des outils et des adaptations, j’ai quelques astuces.
J’adapte mon planning :
- aucune réunion, ni le lundi, ni le vendredi. Je déteste le lundi, alors ça me laisse le temps de gérer la pile de messages dans ma boîte e-mail. Le vendredi, j’utilise mon temps pour développer mes compétences, travailler sur des projets avec des collègues, etc. ;
- ma vie est dictée par Google Agenda. Si ce n’est pas dans mon calendrier, ça n’existe pas !
J’utilise des outils et une méthode spécifiques :
- j’utilise un carnet, idéalement un RocketBook [4] que je peux scanner et envoyer directement dans le bon dossier au sein de Google Drive grâce aux icônes en bas des pages ;
- j’ai des playlists nommées « ADHD flow » pour activer l’état d’hyperfocus et m’aider à faire mon travail ;
- quand je donne une conférence lors d’un évènement en présentiel, j’utilise des « loops » [5] et la salle calme mise parfois à disposition pour ne pas être surstimulée par des gens qui parlent en permanence autour de moi.
Je m’appuie sur mon réseau :
- certains vendredis, certains amis m’aident grâce au « body doubling », c’est-à-dire qu’ils m’apportent un soutien physique et moral : ces rencontres m’aident à finaliser des projets, ou à trouver la solution à certains problèmes bloquants simplement en en discutant.
En parallèle, je suis transparente avec mes client·es :
- je les préviens que, s’ils n’ont pas de nouvelles de moi sous 3 jours, il faut me relancer ;
- je les préviens aussi que je déteste la facturation. J’ai d’ailleurs élaboré une liste de choses à leur demander pour m’assurer d’avoir toutes les informations avant de facturer. Je paye aussi un comptable pour m’aider.
Enfin, j’ai mis en place ce que j’appelle un « volant d’inertie » (content flywheel) qui m’aide à ne pas me disperser à cause de mon TDAH, et à créer du contenu. Par exemple :
- quand j’ai un hyperfocus à 2 heures du matin, et bien je planifie tout ce que je dois partager via mon outil de réseaux sociaux (Publer) pour le partager sur plusieurs jours/plateformes au bon moment ;
- cette spécialisation dans un sujet devient l’opportunité de parler dans quelques podcasts ;
- cela veut dire qu’il est temps d’en faire une conférence, puis un article à la suite de cette conférence.
Produire tout cela m’offre ensuite des opportunités en matière de formation et de mandats de travail.

Our brains function, learn, and process information in distinctive ways.
» (« Nos cerveaux fonctionnent, apprennent, et traitent l’information de manières distinctives. ») Photo : Yorgan Dimitrov.Access42 : Que peuvent faire tes client·es et tes collègues pour communiquer et travailler de la manière la plus simple et facile pour toi ?
Myriam Jessier :
- Ne pas m’écrire 5 fois de suite, mais plutôt condenser l’information dans un seul e-mail avec une liste à puces.
- Ne pas me faire remplir des formulaires très longs et ambigus, car je vais perdre beaucoup de temps.
- Me fournir des consignes claires et non ambiguës, ou bien me donner une idée très claire des attentes pour que je puisse livrer le travail, que je ferai de la manière la plus efficace ou logique pour moi.
- Me rappeler certaines choses sans se frustrer ni se mettre en colère. Ma compréhension du temps et ma mémoire ne fonctionnent pas de la même manière.
- Aller droit au but. Quand on me dit :
« Est-ce que tu as le temps de faire une petite réunion ? Rien de grave, promis ! »
, et que l’on ne me donne pas d’ordre du jour, cela m’angoisse comme pas possible.
Access42 : Quel est le péché capital que tout le monde devrait absolument éviter de dire ou de faire pour faciliter ton travail, et tenir compte de ton handicap ?
Myriam Jessier : Il est essentiel que je puisse scanner l’information : l’utilisation d’une liste à puces aide beaucoup pour cela.
A contrario, si l’information est présentée sous la forme d’un gros bloc de texte très dense, je ne sais pas si le contenu est pertinent et qu’il faut que je me force. Ça me coûte déjà beaucoup d’énergie.
Il me faut aussi une ancre visuelle : c’est pour ça que j’aime les titres et les sous-titres, ou bien toute autre indication visuelle soulignant que l’on se trouve dans une section spécifique par exemple.
Pour capter mon attention, il convient également de commencer par me donner l’information la plus importante, avant de me donner plus de détails.
Mon cerveau fait de l’autocomplétion en permanence, aussi il vaut mieux me donner le moins d’informations possible et aller droit au but, sinon je vais me perdre.
Il faut enfin rester concis. Si je dois chercher ce que signifie tel acronyme lu dans un e-mail, ça va beaucoup me distraire : je vais finir par en googliser 40 autres et ne jamais répondre à l’e-mail en question.
Bonus : j’observe que les mélanges de phrases courtes et de phrases longues me permettent de rester concentrée, car je suis scotchée au message. Ce rythme est intéressant à lire pour moi, car le texte en devient dynamique.
Access42 : En dehors de ton travail et du numérique, quels sont les autres obstacles auxquels tu es confrontée dans ta vie de tous les jours ?
Myriam Jessier :
- Essayer de ne pas me sentir attaquée quand quelqu’un ne comprend pas comment je fonctionne et fait un commentaire passif-agressif.
- Apprendre à ne pas interrompre les gens.
- Prévenir que si j’apprécie quelqu’un, je risque de faire de l’« infodumping ».
- Ne pas faire brûler la nourriture, car elle a mis trop de temps à cuire : je suis allée faire autre chose dans la cuisine ou ailleurs, parce que j’ai perdu patience.
- Boire du thé chaud ! Le problème, c’est que j’oublie souvent que j’ai allumé la bouilloire. Je rallume donc la bouilloire, je prépare le filtre à thé, je cherche la tasse. Mais comme tout ça prend trop de temps, je finis par oublier et faire autre chose. Je reviens près de la bouilloire, je me rends compte que j’avais bien versé l’eau dans la tasse, mais que j’avais oublié de prendre la tasse : donc le thé est froid et trop infusé. Je recommence alors, et le cycle continue, alors que je n’ai toujours pas de thé. Ou alors, j’ai 5 tasses répandues dans toute la maison avec du thé trop infusé et froid.
Access42 : Quelles ressources recommandes-tu pour continuer à s’informer sur la neurodiversité et les troubles cognitifs ? Tu peux aussi recommander des personnes à suivre.
Myriam Jessier :
- Le livre Extrafocus de ADHD Jesse
- Le Subreddit « ADHD memes » pour rigoler un bon coup
- La communauté Neurodivergents in SEO
- Merci à Stéphanie Walter pour : Software accessibility for users with Attention Deficit Disorder (ADHD) by Eva Katharina Wolf – UX Collective
- Le couple ADHD love sur YouTube
Je pourrais en citer beaucoup d’autres, mais honnêtement, le meilleur conseil que je puisse donner, c’est de savoir que les personnes neurodivergentes se reconnaissent très vite entre elles.
Donc si vous en connaissez une, vous pouvez potentiellement en connaître beaucoup d’autres ! Il suffit de demander.