UX et accessibilité : retour sur BlendWebMix et UX Rennes
Attention ! Cet article a été écrit en 2017. Son contenu a peut-être besoin d’une mise à jour. Complétez votre veille avec des articles plus récents, par exemple en consultant les nouveautés de notre blog accessibilité numérique, ou en lançant une recherche pour trouver des articles similaires, mais à jour.
BlendWebMix et UX Rennes sont deux évènements très différents l’un de l’autre, et qui ont pourtant eu un point commun cette année : j’y suis intervenue pour parler d’UX et d’accessibilité.
Ces deux temps forts ont également été pour moi l’occasion d’assister à des conférences marquantes que j’ai envie de partager avec vous aujourd’hui.
BlendWebMix
UX et accessibilité, amies pour la vie
Pour commencer, direction Lyon fin octobre pour BlendWebMix.
En quelques années, BlendWebMix est devenue la première conférence annuelle française sur le numérique : elle attire pas loin de 2000 participants chaque année. Quatre thématiques rythment ces deux jours de conférences et de rencontres : design, société, tech et webmarketing.
En outre, cette année, la KiwiParty d’Alsacréations a eu lieu pendant Blend, faute de moyens suffisants pour être organisée comme d’habitude à Strasbourg. Il y a donc eu deux évènements au lieu d’un, la KiwiParty ayant son track dédié pendant Blend, ce qui était très chouette !
Personnellement, c’était mon troisième Blend, mais la première fois que j’y étais oratrice. Ma conférence a eu lieu en fin de journée pendant la KiwiParty et s’intitulait « UX et accessibilité : BFF ! ».
Outre le stress normal lié au fait de prendre la parole en public (je n’avais donné qu’une seule conférence avant ça : à Paris Web en 2015), qui plus est pendant un évènement aussi gigantesque que Blend, la difficulté principale pour moi a consisté à tenir le timing imposé de 15 minutes : il a fallu faire certains choix.
En l’occurrence, j’ai choisi de donner deux exemples de mécanismes accessibles qui doivent être prévus lors de la phase de conception fonctionnelle :
- les sélecteurs de styles (style switchers), qui permettent de rendre accessible une interface sur laquelle certaines couleurs manquent de contraste par exemple : ceci afin d’améliorer l’expérience utilisateur des personnes déficientes visuelles ou des personnes ayant des difficultés de lecture. Ce mécanisme peut aussi être utilisé pour augmenter l’interlignage des textes, annuler leur éventuelle justification et utiliser une police de caractères alternative, afin d’apporter un confort supplémentaire, aux personnes dyslexiques notamment ;
- les aides à la saisie dans les formulaires, sous forme d’indication de format attendu et d’exemples de saisie réelle, afin d’aider les personnes présentant une déficience mentale, cognitive ou psychique à comprendre le contenu d’un formulaire et à le remplir.
Vous pouvez accéder à la transcription et au support de présentation de la conférence.
J’ai également invité le public à s’interroger sur le recours systématique aux arguments de type : « L’accessibilité, ça ne sert pas qu’aux personnes handicapées ». Certes, l’accessibilité permet bien souvent d’améliorer l’expérience utilisateur générale d’un site, et a donc des impacts positifs sur un large public.
Mais insister sur le fait que l’accessibilité ne sert pas uniquement aux personnes handicapées peut laisser penser que les besoins et les attentes des ces personnes, dont des personnes qui vivent avec des déficiences permanentes, ne seraient pas suffisants pour que nous daignons nous préoccuper d’accessibilité.
Pourtant, les personnes handicapées sont bien les premières à qui l’accessibilité du web sert. Aussi, le fait qu’elles soient progressivement invisibilisées dans les discours de sensibilisation actuels me pose problème.
Chez Access42, nous tenons le discours inverse : pour nous, l’accessibilité c’est avant tout pour les personnes handicapées. Sur le même sujet, je vous recommande également l’excellent article de Sarah Horton, que nous avons traduit en français : Qu’importent les chiffres, les personnes handicapées comptent.
Un mélange atypique de conférences
J’ai également profité de Blend en tant que participante et j’ai assisté à plusieurs conférences. Le track KiwiParty proposait onze conférences, dont pas moins de quatre étaient dédiées à l’accessibilité. En dehors de ce track, trois autres présentations en particulier ont retenu mon attention :
- Le handicap invisible de Sylvain Briant ;
- Le branding est un voyage (pas une destination) de Sébastien Navizet ;
- The Secret World of Graphic Design for Filmmaking de Annie Atkins.
Le handicap invisible de Sylvain Briant
Dans Le handicap invisible, Sylvain Briant nous a parlé d’autisme et d’emploi avec sincérité, en racontant son cheminement professionnel et personnel en tant que personne autiste Asperger et à haut potentiel.
Les troubles du spectre autistique touchent 1 % des naissances, soit environ 650 000 personnes en France. En Europe, cela touche 5 millions de personnes.
Pour Sylvain Briant, ce n’est pas l’autisme qui est un handicap, mais l’environnement qui n’est pas adapté aux personnes autistes. Dans sa conférence, il a présenté des pistes managériales pour collaborer plus efficacement avec des personnes neuro-atypiques.
Chaque personne autiste est bien entendu différente, mais certains traits de caractère ressortent souvent :
- Honnêteté : s’en tenir aux faits, peu d’irrationnel. Les personnes autistes ont des difficultés à percevoir l’implicite et les marqueurs sociaux.
- Rapidité : concentration sur les tâches, moins d’interactions sociales que les autres.
- Apprentissage : des choses innées chez les personnes neurotypiques ne sont pas innées chez les personnes autistes, aussi elles ont développé de fortes capacités à apprendre, à copier, à imiter et à se camoufler.
- Passion : concentration maximale sur certains intérêts restreints, minutie et expertise.
Cette conférence invitait chaque participant·e à réfléchir à sa façon de manager, à se connaître soi-même et à accepter l’autre, avec ses différences.
Le branding est un voyage (pas une destination) de Sébastien Navizet
Creative designer, Sébastien Navizet a bousculé les idées préconçues sur le branding et le rebranding pendant sa chouette conférence Le branding est un voyage (pas une destination), qu’il a animée avec dynamisme et humour.
Le branding, c’est l’image de marque, c’est-à-dire sa représentation publique. Une marque est un concept très large, imaginaire et intangible. Elle peut susciter des réactions émotionnelles : parfois, on aime une marque sans qu’on sache vraiment l’expliquer, le logo de certaines peut nous faire voyager ou rêver, etc.
Une marque se construit et se renforce dans le temps. Un logo n’est qu’un fœtus de branding. Il doit à la fois être le plus simple possible, mais aussi le plus reconnaissable et le plus unique possible.
La consistance de marque est très importante, car elle nourrit le sentiment de familiarité du public avec la marque. Qui dit consistance, dit répétition : cinq couleurs et une ou deux polices de caractère maximum. À force de voir toujours la même couleur, la même police, le public commence à se familiariser, à reconnaître les patterns ; la marque devient familière et suscite peu à peu la confiance.
Ce n’est pas la publicité sur les gnocchis Lustrucru qui donne envie de les acheter, mais l’influence de la marque : par exemple, au supermarché, lorsqu’on a le choix entre les gnocchis Lustucru et une autre marque, et qu’on choisit les Lustucru.
The Secret World of Graphic Design for Filmmaking de Annie Atkins
Enfin, la troisième conférence qui m’a fait forte impression est The Secret World of Graphic Design for Filmmaking, présentée par Annie Atkins.
Annie Atkins est designer et travaille pour le cinéma. Elle contribue à créer les accessoires et les décors que vous voyez dans certains films. Elle a notamment travaillé sur la production du film The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson. Les boîtes roses Mendl’s, c’est elle !
Chaque élément visible à l’écran a une raison d’être : renforcer l’histoire. La designer nous a expliqué sa façon de travailler, et nous a donné des conseils pour produire du meilleur design, dont voici le principal : « Mettez votre ordinateur de côté, et sortez vous imprégner du monde réel ». En effet, les designers comme Annie Atkins s’inspirent sans arrêt du monde réel pour donner un aspect authentique aux mondes imaginaires créés par le cinéma.
Une petite anecdote qui m’a amusée : chaque accessoire créé pour un film existe, en fait, en six exemplaires au minimum. Ainsi, si un exemplaire est abîmé au cours du tournage, il est facilement remplaçable.
UX Rennes
Notre conférence sur le design inclusif
Retour en Bretagne. Vendredi 10 novembre, le collectif UX Rennes a organisé une soirée sur le thème du design inclusif, pour célébrer la journée mondiale de l’utilisabilité (WUD : World Usability Day).
À cette occasion, Sylvie Duchateau et moi étions invitées à donner une conférence, que nous avons intitulée « UX et handicap : l’accessibilité est la clé ». Vous pouvez d’ores et déjà en lire la transcription et accéder à notre support de présentation.
Comme nous disposions cette fois d’une quarantaine de minutes, nous avons pu donner plus de détails que je l’ai fait à BlendWebMix. Le public d’UX Rennes étant constitué de nombreux étudiants et de jeunes professionnel·le·s, il nous a semblé nécessaire de redéfinir ce qu’on entend par « accessibilité ». En effet, pour passionnante que soit l’accessibilité comme discipline en design, elle est insuffisamment enseignée.
Sylvie a fait une démonstration de plusieurs formulaires inaccessibles : notre objectif était de montrer rapidement comment une personne aveugle interagit avec un lecteur d’écran. En effet, pour sensibiliser à l’accessibilité, rien ne vaut la prise de parole par les personnes concernées.
Une partie du public présent ce soir-là découvrait donc le lecteur d’écran NVDA pour la première fois. Certains nous ont dit après coup que cela a été une révélation pour eux et qu’ils étaient loin de s’imaginer que l’expérience utilisateur d’une personne aveugle sur le web ressemblait à ça.
La conférence s’est conclue par de nombreux échanges. Les questions étaient non seulement nombreuses, mais aussi très diversifiées, concernant autant l’UX, le design graphique et le développement que la législation en matière d’accessibilité numérique, et témoignant ainsi d’une grande diversité au sein du public.
Je suis toujours impressionnée et ravie de constater que les personnes qui ont eu la politesse de m’écouter pendant 45 minutes ont encore l’énergie et la curiosité de me poser des questions, et ce malgré le stress que représente pour moi ces sessions de questions/réponses.
Inclure les minorités sexuelles dans son design, de Antonin Le Mée
C’est Antonin Le Mée, architecte logiciel, qui a assuré la seconde partie de soirée, avec la conférence Inclure les minorités sexuelles dans son design en nous parlant de sexe, de genre et d’identité sexuelle.
Pour concevoir de manière inclusive, encore faut-il les connaître. Aussi, de qui parle-t-on quand on parle des « minorités sexuelles » ? Ce terme est utilisé en anglais pour qualifier des personnes dont les pratiques sexuelles/genrées sortent de ce qu’on considère la norme : les personnes LGBTI (lesbiennes, gays, bisexuelles/biromantiques, transgenres, ou intersexes).
Il faut dissocier le sexe administratif et le sexe biologique du genre psychologique ou social. Le genre est un ressenti personnel : selon Antonin Le Mée, il existe autant de genres que de personnes. Le genre n’est pas toujours raccord avec le sexe. Et surtout, le genre est social : ce qui est vrai en France métropolitaine n’est pas vrai dans d’autres pays ou à d’autres époques. Par exemple, si en France nous n’avons que deux cases pour qualifier le genre d’une personne sur les formulaires administratifs (« Homme » ou « Femme »), certains pays en proposent une troisième, pour les personnes qui ne se reconnaissent ni l’un ni l’autre.
Antonin Le Mée nous a alertés sur des habitudes de conception problématiques. Demander aux utilisateurs leur sexe ou leur genre dans un formulaire est une habitude ancienne, qui a pourtant des tas de conséquences pour les personnes LGBTI. Par exemple, si un formulaire nécessaire pour scolariser un enfant prévoit uniquement un champ « Mère » et un champ « Père », cela exclut de facto les couples gays ou lesbiens.
Quelques bonnes pratiques de conception pour inclure les minorités sexuelles dans son design, par exemple quand on demande le genre d’une personne dans un formulaire :
- Justifier à quoi vont servir les données, car c’est une information qui relève de l’intime. « C’est pour les stats » n’est pas une réponse suffisante.
- Donner la portée de ces données : qui y aura accès, où ça va servir, comment ces données seront protégées.
- Rendre ce type de champ facultatif.
- Poser la question précisément : sexe ou genre ? Si on demande le genre pour en déduire des caractéristiques biologiques, poser directement la question des caractéristiques biologiques, sans préjuger du genre.
- Ne pas poser la question, et utiliser une écriture non genrée dans les intitulés.
- Ajouter des champs pour le genre psychologique, le prénom d’usage, ou bien prévoir des champs de saisie libre à la place de boutons radio binaires.
Antonin Le Mée a terminé en donnant des conseils pour adopter une posture inclusive en terme de communication, que vous retrouverez dans son support de présentation.
Si vous voulez en savoir plus sur le sujet, je vous invite à écouter la vidéo de la conférence qu’Antonin Le Mée a donnée à TEDxRennes en 2016, intitulée La binarité, c’est pas mon genre, tout aussi brillante (NB : cette vidéo est sous-titrée).
Conclusion
Cet automne aura donc été particulièrement riche en matière de conférences et de rencontres.
Le sujet de l’accessibilité et de l’inclusivité est en train d’être pris à bras le corps par les UX designers de tout poil, ce qui est une bonne chose : trop longtemps, l’effort de sensibilisation à l’accessibilité a favorisé le développement web, aux dépens de la conception.
En tant que concepteurs, il est essentiel que nous comprenions pour qui nous concevons des interfaces numériques. Le handicap en France concerne près de 23 millions de personnes [1] : ce n’est pas une catégorie de personnes homogène. Elles peuvent cumuler plusieurs types de discriminations sociales, basées sur leur origine, leur genre, ou encore sur leur religion.
C’est donc à des besoins aussi concrets que variés que doit répondre de toute urgence le design accessible et inclusif.
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