Conférence du 6 avril 2018 sur la Vie Autonome et les droits internationaux des personnes handicapées
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L’accessibilité aux personnes handicapées est un sujet aussi passionnant que complexe et protéiforme qui concerne la société dans son ensemble.
Chez Access42, nous nous concentrons sur l’accès au numérique, notre domaine d’expertise. Si les utilisateurs handicapés se trouvent au cœur de notre démarche, notre pratique quotidienne ne nous donne que rarement l’occasion d’échanger avec eux.
C’est pourquoi j’ai souhaité assister à la Conférence du 6 avril 2018 sur la Vie Autonome et les droits internationaux des personnes handicapées, événement organisé et animé principalement par des personnes concernées.
À propos de la conférence
L’événement, une première du genre en France, était organisé par l’association Gré à Gré, la Coopérative pour la Vie Autonome en Mandataire (COVIAM), la Coordination Handicap Autonomie – Vie Autonome France [1] et l’European Network on Independent Living (ENIL).
La conférence portait sur la Vie Autonome et les droits internationaux des personnes handicapées et s’achevait avec la projection du film australien Defiant Lives de Sarah Barton et Liz Burke.
Vous pouvez retrouver l’ensemble des échanges en vidéo ainsi que le programme détaillé de la journée.
Je partage avec vous les moments de la journée que j’ai trouvés les plus intéressants et qui ont nourri ma réflexion, mais je vous invite à vous forger votre propre opinion.
À noter que l’après-midi était réservée aux personnes handicapées et à leurs proches, je n’y ai donc pas assisté dans son intégralité.
La Vie Autonome, c’est quoi ?
Afin de poser le débat, Mathilde Fuchs (Gré à Gré) a commencé par en définir les principaux termes (Vie Autonome, soutien entre pairs, assistance personnelle, désinstitutionnalisation, services communautaires).
« La Vie Autonome (Independent Living), c’est permettre aux personnes handicapées de vivre chaque jour, dans le respect de leurs droits, ceux des droits de l’Homme.
Les personnes handicapées doivent pouvoir contrôler leur vie, en choisissant :
- le lieu où elles veulent habiter,
- avec qui,
- et comment elles veulent vivre.
Pour cela, elles ont droit à :
- des aides techniques (matériel…),
- une assistance personnelle (aides humaines, soutien de personnes handicapées qui ont vécu les mêmes choses…).
Elles ont aussi droit, pour être à égalité avec tous les citoyens, à un environnement accessible et aux mêmes services (éducation, santé, transports, culture…). »
La Vie Autonome est un droit reconnu par la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées [2] (article 19).
Pourtant, encore « environ 100 000 enfants et 200 000 adultes handicapés vivent en France dans des institutions. »
a observé la Rapporteuse spéciale sur les droits des personnes handicapées, Catalina Devandas-Aguilar, lors de sa visite en France en octobre dernier.
« Il n’existe pas de bonnes institutions. »
Sa déclaration implacable a fait beaucoup de bruit en France. C’est à cette occasion que j’ai pour ma part entendu parler de la première fois de Vie Autonome et de désinstitutionnalisation.
Les propos de la Rapporteuse ainsi que cette journée de sensibilisation et d’informations sont une invitation à questionner les mauvaises pratiques qui perdurent.
La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées : la référence internationale
J’ai particulièrement apprécié l’intervention de Magali Lafourcade, Secrétaire générale de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), qui a rappelé l’importance de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH).
L’accessibilité, un droit fondamental
L’accessibilité, c’est permettre aux personnes handicapées de jouir pleinement de leurs droits et de leurs libertés fondamentales.
La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées est en ce sens une révolution majeure.
La question du handicap sort du champ médicosocial pour être considérée sous l’angle des droits de l’Homme. Les personnes handicapées ne sont plus vues comme « objets d’assistance et de soins », mais comme « sujets de droit ».
« Par personnes handicapées, on entend des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres. »
Article premier, CDPH
La Convention propose un nouveau paradigme. Plutôt que de définir la situation de handicap en mettant l’accent sur les déficiences, la Convention dénonce « les barrières comportementales et environnementales » présentes dans une société inaccessible.
Le retard français en matière de droits des personnes handicapées
Magali Lafourcade est également revenue sur la visite de Catalina Devandas-Aguilar, du 3 au 13 octobre 2017, qui a vivement critiqué les pratiques de la France, notamment sur l’institutionnalisation.
La Rapporteuse spéciale sur les droits des personnes handicapées considère en effet la France doit effectuer une révolution copernicienne sur les droits des personnes handicapées.
Selon elle, le problème principal repose sur la définition du handicap inscrite dans la loi de 2005.
« Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. »
Article L114 — loi nº2005-102
La loi française prend en effet le contrepied de la Convention en faisant de « l’altération substantielle, durable ou définitive… »
la cause des limitations et des restrictions de participation à la vie en société.
Cette mauvaise conception initiale entache toutes les politiques publiques du handicap françaises et explique pour elle les difficultés rencontrées.
Pour Magali Lafourcade, il est donc plus que temps que la France opère un profond changement culturel sur la question du handicap, en se mettant au diapason de la définition onusienne.
Pour aller plus loin
Je vous invite à lire ou à relire la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées qui constitue une référence indispensable et fondamentale à toute réflexion sur le sujet.
Les observations de la Rapporteuse spéciale sur les droits des personnes handicapées sont également très éclairantes sur la situation française. Je déplore seulement que le volet numérique ne soit pas, ou presque, abordé.
La situation en France vue par le CLHEE
« Quelles sont les orientations actuelles de la politique française qui permettent la désinstitutionnalisation et le développement de la Vie Autonome ? »
Sans surprise, j’ai préféré l’intervention de la militante Elisa Rojas, membre du Collectif Lutte et Handicaps sur l’Égalité et l’Émancipation (CLHEE), à celles des représentants du gouvernement (Étienne Petitmengin, secrétaire général du Comité interministériel au Handicap et Jean-Guillaume Bretenoux, sous-directeur de l’autonomie des personnes handicapées et des personnes âgées représentant la Direction générale de la cohésion sociale).
Elisa Rojas constate que l’institutionnalisation est encore massive en France et dénonce une réappropriation des termes militants sans changement réel de politique.
Si le gouvernement a bien repris les termes d’émancipation et celui de désinstitutionnalisation, il en dévoie le sens à ses yeux.
En effet, pour elle, la désinstitutionnalisation n’est pas fondamentalement remise en cause par le gouvernement qui ne veut pas sortir du modèle caritatif et médical et présente l’institutionnalisation comme une solution acceptable.
« La désinstitutionnalisation, ce n’est pas une option. C’est une obligation. »
Il n’y a pourtant aucune stratégie ou de plan pour aller vers la désinstitutionnalisation, exigée par les textes internationaux.
En effet, les conditions pour le développement de la Vie Autonome sont loin d’être réunies.
- L’accessibilité, prérequis indispensable à la Vie Autonome, a, selon elle, regressé depuis la réforme de la loi de 2005.
- L’allocation aux adultes handicapés (AAH) d’environ 900 euros est toujours en dessous du seuil de pauvreté, malgré les annonces du gouvernement.
- L’aide humaine n’est quasiment jamais évoquée par le gouvernement et n’est pas développée.
L’institutionnalisation devrait être condamnée et non défendue par le gouvernement.
- Il s’agit d’une séparation artificielle des personnes handicapées du reste de la société.
- C’est une dépossession au droit de contrôler sa vie et une atteinte directe des droits des personnes handicapées.
- Elle favorise tous les abus.
La troisième voie proposée (l’habitat inclusif) par le gouvernement français, sorte d’entre-deux, n’est rien moins qu’une nouvelle forme d’institutionnalisation dangereuse à ses yeux. Le contrôle y reste aux mains des associations gestionnaires, la personne handicapée n’étant pas en mesure de décider pleinement et librement de ses conditions de vie.
Elisa Rojas tacle également le projet de loi ELAN, véritable régression en matière de logement accessible.
Elle rappelle la transversalité de la question du handicap. La politique du handicap n’est pas déconnectée de la société. Les attaques envers le service public impactent également directement les personnes handicapées, qui en sont de grandes bénéficiaires.
Elle termine sur la question de la protection supposée nécessaire des personnes handicapées et cite la politologue Françoise Vergès.
« Être protégé, c’est vivre selon les règles du protecteur. »
Elle encourage les personnes handicapées à se demander si elles veulent continuer à vivre selon les règles d’autrui (proches et associations gestionnaires) et reproche une confusion dans le discours actuel entre ce que souhaitent les tiers (proches et associations gestionnaires) et les personnes handicapées, directement concernées.
Enfin, elle en appelle à une véritable stratégie militante pour s’opposer aux mesures qui portent atteinte aux droits des personnes handicapées et revendiquer la mise en place de tout ce qui est nécessaire à l’autonomie.
Pour aller plus loin
Je vous invite à vous intéresser au CLHEE qui m’a personnellement appris énormément de choses et ouvert les yeux sur la situation des personnes handicapées en France et le validisme :
- Manifeste du CLHEE
- L’article La visite qui recadre analyse les observations de la Rapporteuse spéciale.
L’Union européenne et la CDPH
Absence de statut européen
J’ai été très surprise de découvrir qu’il n’existe pas de reconnaissance du statut d’invalidité à l’échelle européenne. Il s’agit de facto d’une limite à la libre circulation des personnes, élément constitutif à mes yeux de la citoyenneté européenne.
Ainsi, une personne handicapée qui déménage dans un autre État membre est obligée de refaire des démarches pour faire reconnaître ses droits.
À noter qu’il existe un projet de carte européenne du Handicap, encore en phase pilote, visant à adresser au moins partiellement le problème.
L’ENIL : surveiller les fonds européens
Nataša Kokić de l’ENIL, réseau européen pour l’Independent Living – Vie Autonome, a présenté leur campagne EU Funds for Our Rights.
Il s’agit de veiller à ce que les fonds européens ne soient pas détournés et utilisés à l’encontre des droits des personnes handicapées (avec un focus particulier sur l’institutionnalisation).
Cette démarche m’interpelle particulièrement. Il serait plus que pertinent de s’en inspirer et de s’assurer que les fonds publics ne contribuent pas à financer des projets inaccessibles.
Témoignages de personnes concernées
Il m’est plus difficile de résumer les témoignages de la journée de peur d’en dénaturer les propos.
Le témoignage de Gisèle Caumont m’a particulièrement touchée. Cette militante franco-suédoise a choisi de vivre en Suède où elle bénéficie de meilleures conditions d’accompagnement.
Elle raconte qu’en Suède, l’accent est mis sur les besoins de la personne et sur son projet de vie. En France, on insiste sur ce que la personne ne peut pas faire.
« C’est terrible toute sa vie d’être quelqu’un qui ne peut pas. Tandis que là au contraire, c’était « peut s’il y a quelqu’un pour aider » et ça c’est extraordinaire. »
Elle remarque également que certaines personnes handicapées n’osent pas exiger l’aide dont elles ont besoin et se contentent du peu qu’on leur donne. Ne pas avoir honte, reconnaître sa valeur et oser exprimer ses besoins, c’est son message à ces personnes.
Valides, nous n’avons pas conscience de la violence quotidienne (physique et psychologique) que subissent les personnes handicapées. Notre société leur prouve constamment qu’elles ne sont pas des citoyennes au même titre que les autres et que les intégrer n’est pas une priorité.
L’inaccessibilité a un coût humain considérable que nous ne devrions jamais oublier : dignité bafouée, estime de soi réduite, autonomie difficile ou impossible…
Defiant Lives, récit d’une conquête
La journée s’est terminée avec la projection du documentaire Defiant Lives qui retrace l’essor du combat pour les droits civiques des militants et militantes handicapées aux États-Unis, en Grande Bretagne et en Australie.
Il y a de fortes chances que vous n’ayez jamais entendu parler de ces personnes et de leurs actions. Aucun de mes cours sur le mouvement des droits civiques aux États-Unis n’évoquait ne serait-ce qu’en quelques lignes leur lutte.
Entre images d’archives et interviews de militants, ce documentaire jubilatoire laisse les personnes handicapées raconter et expliquer leur combat pour reprendre le pouvoir et le contrôle sur leur vie (empowerment).
Pour la première fois, beaucoup d’entre elles se sont senties fortes et fières. Elles ont montré à la société qu’elles ne sont pas des êtres faibles à protéger, mais des personnes capables de défendre leurs droits.
Le récit du 504 Sit-in est particulièrement passionnant et saisissant [3]. Il s’agit d’un événement majeur dans l’histoire américaine de la lutte pour l’accessibilité : la discrimination des personnes handicapées est enfin reconnue et interdite.
Le documentaire s’achève sur la signature de l’Americans With Disabilities Act (ADA) en juillet 1990, texte majeur qui étend la portée de la Section 504 et une belle victoire pour l’accessibilité.
Conclusion : des liens à renforcer
Cet événement a été enrichissant à bien des égards et je remercie vivement les personnes qui l’ont organisé.
J’en suis sortie encore plus convaincue de l’intérêt à multiplier les échanges entre professionnels de l’accessibilité, universitaires, associations et personnes handicapées.
C’est une démarche que nous avons entamé chez Access42 il y a quelque temps déjà et que nous cherchons à approfondir.
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