Interview de Céline Ripolles, traductrice et sous-titreuse spécialisée dans l’accessibilité

À qui servent les sous-titres d’une vidéo ? Qu’est-ce qu’un bon sous-titrage pour l’accessibilité ? Pourquoi les normes de sous-titrage sont-elles importantes pour l’accessibilité ?

Dans cette interview très riche, notre consœur Céline Ripolles présente son travail en tant que traductrice et sous-titreuse indépendante, spécialisée dans l’accessibilité.

Céline Ripolles.
Céline Ripolles. Crédit photo : Joy Bigard (artof_joy sur Instagram)

Bonjour Céline ! Peux-tu te présenter s’il te plaît ?

Céline Ripolles – Bonjour Magali, je m’appelle Céline Ripolles, je fais du sous-titrage en direct de vidéos, de la traduction et de la formation à l’accessibilité audiovisuelle.

Je travaille en indépendante depuis maintenant trois ans et je fais du sous-titrage depuis plus de 10 ans.

Je fais également partie du collectif Silence, on grimpe ! fondé par Arnaud Guillemot, qui se bat pour l’accessibilité des festivals de films. Le collectif travaille en partenariat avec les festivals et les réalisateurs et réalisatrices pour améliorer l’accessibilité des séances de projection et de tout ce qu’il y a autour.

En quoi consiste ton travail en tant que sous-titreuse professionnelle ?

Céline Ripolles – Mes journées sont très variées. Mon activité principale reste le sous-titrage de vidéos, donc il se passe rarement une journée sans que je passe du temps sur Subtitle Edit à sous-titrer des vidéos (films, documentaires, séries, webinaires, formations vidéo, etc.), d’ailleurs, j’en ai besoin !

Comme je sous-titre aussi en direct, je me déplace beaucoup sur des lieux d’événements, de séminaires ou dans des entreprises. Je plonge dans des milieux et domaines très différents.

Je donne aussi des formations sur le sous-titrage de vidéos et l’accessibilité audiovisuelle. Elles se passent soit en ligne soit en présentiel, à l’université ou dans des entreprises. Ça me permet de parler de ma passion pour le sous-titrage tous les jours !

Qu’est-ce qui t’a poussée vers cette profession ?

Céline Ripolles – C’est d’abord une passion pour les langues et les films. J’ai en effet commencé par le sous-titrage que l’on appelle VOST (version originale sous-titrée) destiné aux personnes entendantes qui ne comprennent pas la langue de la vidéo.

C’est lors de mon premier stage au sein de l’entreprise Dubbing Brothers, spécialiste du sous-titrage et doublage de films, que j’ai découvert le sous-titrage SME (Sourd et Malentendants).

Ce fut une véritable révélation, car je pouvais véritablement allier ma passion pour la technique et l’art du sous-titrage avec une cause qui me tient à cœur : l’accessibilité pour les personnes sourdes ou malentendantes.

Comment es-tu devenue sous-titreuse ?

Céline Ripolles – En me lançant en indépendante après mon stage, j’ai voulu en apprendre plus sur ces personnes pour lesquelles je sous-titrais. J’ai eu la chance immense d’être accompagnée très rapidement par la communauté sourde qui m’a fait des retours, expliqué avec générosité leurs besoins et demandes et donné des opportunités.

C’est au contact de ces personnes que j’ai vu le besoin grandissant pour du sous-titrage en direct, une technique bien différente du sous-titrage de vidéos – même si mon expérience là-dedans m’a donné un grand avantage pour devenir sous-titreuse en direct, car que ce soit en direct lors d’événements ou pour les vidéos, ce que l’on veut, c’est qu’un sous-titre soit lisible.

J’ai commencé par sous-titrer en direct pour des associations qui n’avaient pas les moyens de payer des services de vélotypie. Ça m’a permis de pratiquer dans des conditions réelles et ça a permis aux associations de proposer du sous-titrage en direct pour que des personnes sourdes puissent venir assister à leurs événements.

Au contact du public sourd ou malentendant, j’ai pu voir comment ces personnes vivaient l’événement, les informations qu’elles avaient besoin que je sous-titre, leurs mouvements, leur vitesse de lecture, etc. Elles m’ont aidée à répondre à des questions essentielles comme la taille du texte à paramétrer et à d’autres questions plus précises, par exemple : comment sous-titrer l’ironie ?

Au contact de ce public, je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas que les personnes sourdes ou malentendantes qui avaient besoin du sous-titrage en direct, mais aussi les personnes avec des troubles de l’attention, sur le spectre autistique ou des problèmes de compréhension. Il m’est alors paru évident d’intégrer des éléments de langage clair dans ma pratique.

Mon but aujourd’hui est de produire un texte clair, lisible et précis en direct et dans le moins de temps possible.

Après cette phase, j’ai commencé à proposer mes services de manière professionnelle, mais je n’arrête jamais ma formation continue. Chaque événement est l’occasion de prendre des retours et d’affiner encore ma pratique.

C’est d’ailleurs aussi le cas pour le sous-titrage de vidéos. Mes recherches constituent une grande partie de mon métier, que j’utilise ensuite dans ma pratique et transmets lors de mes formations.

Qu’est-ce qui fait que des sous-titres sont de qualité selon toi ? As-tu quelques bonnes pratiques à partager ?

Céline Ripolles – C’est la lisibilité qui est au cœur du processus de sous-titrage. Un sous-titre, c’est d’abord et avant tout du texte qui apparaît dans une durée limitée à l’écran. C’est la sous-titreuse qui décide de cette durée et de ce texte.

Pour qu’un sous-titre soit lisible, il faut d’abord qu’il soit présent et visible sur la vidéo : on suit donc des normes liées au contraste et au choix de la police.

Ensuite, il faut qu’on ait le temps de le lire. On va donc suivre un indicateur très important : les caractères par seconde. Comme un être humain ne peut lire à la vitesse de la lumière, il faut respecter un certain nombre de caractères par seconde, qui va changer selon le public de la vidéo : enfant, adulte, personne sourde, personne entendante qui ne comprend pas la langue de la vidéo, personne qui regarde sans le son, et al.

Et c’est justement cette question du public qui va jouer dans la qualité. On ne sous-titre pas du tout de la même manière si on sous-titre des vidéos pour les réseaux ou les plateformes ou si on sous-titre pour les personnes sourdes ou pour les personnes entendantes qui ne comprennent pas la langue, etc. Les normes que l’on va suivre vont être différentes.

Si vous publiez des vidéos sur Internet, le public prioritaire doit toujours être les personnes sourdes ou malentendantes. Ce sont elles qui ont besoin des sous-titres en priorité.

Pour éviter de faire des sous-titres qui ne servent qu’à habiller la vidéo, pensez à choisir une police et une couleur de sous-titres accessible et à indiquer les sons importants de la vidéo.

Prenez du recul et réfléchissez : est-ce que ma vidéo est compréhensible si je ne peux pas entendre le son ? Qu’ai-je besoin d’indiquer pour qu’elle soit plus accessible ?

On parle beaucoup de l’intelligence artificielle (IA) générative ces dernières années, et son application aux sous-titres et aux transcriptions semble pouvoir faire gagner beaucoup de temps. Que penses-tu de cet usage ? Y a-t-il des limites ?

Céline Ripolles – Pour ce qui est de la transcription, la qualité de la transcription automatique va beaucoup dépendre du contenu à transcrire. La base de l’IA est exploitable quand les propos sont dits nettement, distinctement, qu’il n’y a pas de fond sonore et que la personne ne parle pas avec un accent autre que l’accent parisien.

Mais, même si ces conditions sont réunies, un travail de fond sur la transcription est nécessaire pour la rendre lisible et compréhensible.

Quand elles ne le sont pas, les transcriptions IA sont rarement exploitables et l’on perd parfois moins de temps à repartir de zéro. Pour ce qui est des sous-titres, nous sommes peu parmi les sous-titreurs professionnels à trouver l’IA utile dans notre métier. Les normes à suivre sont tellement nombreuses et strictes que cela prend beaucoup plus de temps de corriger l’IA que de partir de zéro sur un logiciel de sous-titrage adapté comme Subtitle Edit.

Le risque d’erreurs est aussi plus élevé, car l’IA fait des erreurs qu’un humain ne ferait jamais (confondre un mot avec un autre, par exemple), ce qui fait que ça nous demande une hyper vigilance qui peut parfois baisser. Encore une fois, cela dépend vraiment des exigences du sous-titrage, de la vidéo (courte, longue, film, podcast, etc.).

L’intérêt de l’IA dans notre milieu est qu’elle a poussé les personnes à s’intéresser au sous-titrage et à sous-titrer leurs contenus comme on peut à présent sous-titrer sur des logiciels de montage en partant d’une base d’IA. Partir d’une base peut être rassurant pour les personnes dont le sous-titrage n’est pas le métier, même si cela prend du temps à corriger.

J’ai de nombreux clients pour qui sous-titrer paraissait impossible par le passé (trop cher et trop peu de connaissances), mais qui, après avoir testé avec l’IA, ont eu envie d’un vrai sous-titrage professionnel aux normes et apprécié par le public.

Pourquoi les normes de sous-titrage sont-elles importantes pour la qualité et l’accessibilité des sous-titres, selon toi ?

Céline Ripolles – Suivre des normes, c’est ce qui permet à des sous-titres d’être le plus accessible possible, car l’on va suivre des critères chiffrés : les caractères par seconde, par ligne, les écarts entre les sous-titres pour ne citer qu’eux. Notre propre perception des choses ne rentre plus en ligne de jeu.

C’est pourquoi une Charte relative à la qualité du sous-titrage à destination des personnes sourdes ou malentendantes a été publiée en 2011. Cette charte est essentielle : en effet, si l’on ne suit pas des normes, on ne se base que sur notre propre perception des choses.

C’est exactement la même chose pour les vidéos sur les réseaux sociaux et sur les sites Internet : mettre des sous-titres ne garantit pas l’accessibilité si ceux-ci ne sont pas eux-mêmes accessibles.

Je me bats depuis le début de ma carrière d’indépendante pour une normalisation des sous-titres sur les réseaux sociaux, à la manière des plateformes de streaming par exemple. J’en ai d’ailleurs écrit un article si vous souhaitez approfondir le sujet : Le sous-titrage SME.

Par exemple, les personnes qui sous-titrent pour Netflix doivent suivre des normes strictes afin que tous les sous-titres de la plateforme soient harmonisés même si on trouve différents types de sous-titrage sur la plateforme selon les besoins des personnes (VOST, SDH et classique).

Personnellement, les normes que j’utilise pour mes clients qui publient des vidéos sur Internet sont des normes inspirées du sous-titrage SME et SDH, mais qui s’adaptent au format particulier des vidéos sur Internet.

Le but est de sous-titrer pour les personnes sourdes ou malentendantes en priorité ; on peut donc utiliser des normes qui ont fait leurs preuves, tout en les adaptant un peu à nos nouveaux modes de consultation.

Avec ta newsletter, en tant que formatrice et avec tes activités bénévoles, tu milites activement pour l’inclusion et l’accessibilité, en plus de fournir un travail pédagogique de fond. D’après toi, qu’est-ce qui explique que l’accessibilité soit toujours aussi peu prise en compte ?

Céline Ripolles – Je pense que c’est en grande partie dû à un manque de connaissances et de sensibilisation.

On a du mal à se représenter qui sont les personnes sourdes, quels sont leurs besoins, etc. Je suis encore trop souvent confrontée à des clichés qui ont la vie dure. Leurs voix ne sont pas assez écoutées, même encore aujourd’hui.

On ne se rend pas non plus compte des efforts d’adaptation que font les personnes sourdes tous les jours pour pallier le manque d’accessibilité : lecture labiale, suppléance mentale… Il m’est arrivé plusieurs fois, en sous-titrant en entreprise, de voir que les collègues d’une personne sourde n’avaient pas pris conscience de tous les efforts que leur collègue devait déployer au quotidien en plus de son travail, voire n’avaient pas réellement compris que la personne n’entendait pas.

Ce que je remarque cependant, c’est qu’après avoir été sensibilisées, les personnes sont souvent de bonne volonté pour mettre en place des solutions d’accessibilité et prendre en compte les personnes sourdes, que ce soit dans le cadre de l’entreprise ou des activités culturelles.

Quand je viens sous-titrer pour la première fois dans des entreprises ou lors d’événements, ce sont souvent des moments forts. Les personnes se rendent souvent compte qu’avec de petits aménagements, on peut faciliter grandement le quotidien des personnes sourdes et améliorer l’environnement de travail pour toutes et tous.

Je vois une vraie prise de conscience ; à partir de ce moment-là, les personnes font rarement machine arrière.

As-tu des ressources à conseiller aux personnes qui voudraient s’intéresser à ces sujets ?

Le site de mon collectif, Silence, on grimpe !, propose beaucoup de ressources pour rendre plus accessible ses vidéos. Vous pouvez également nous suivre sur les réseaux sociaux.

Le blog d’Emmanuelle Aboaf, développeuse et conférencière sourde, est également une mine d’or pour découvrir la perspective d’une personne concernée.

Enfin, si la question des normes SME – ces fameux sous-titres en couleur que vous avez peut-être vus à la télévision – vous intéresse, je renvoie à nouveau à l’article que j’ai écrit à ce sujet.

À propos

  • Magali Milbergue

    Experte accessibilité numérique

    Magali Milbergue est experte accessibilité numérique et formatrice chez Access42. Elle réalise des audits RGAA et RAWeb, et anime nos formations à la communication accessible, non seulement pour le web et les réseaux sociaux, mais aussi à celle produite avec des outils bureautiques.

Ajouter un commentaire

* Champs obligatoires

Veuillez remplir ce champ s'il vous plaît.

Veuillez remplir ce champ s'il vous plaît.