Interview de Yann Goupil, référent accessibilité numérique de la Caisse des Dépôts

Pour célébrer la publication de la traduction officielle en français des WCAG 2.1, la norme internationale d’accessibilité numérique, nous avons souhaité donner la parole au comité de relecture et de validation avec qui Access42 a travaillé pour traduire la célèbre spécification du W3C.

Aujourd’hui, nous rencontrons Yann Goupil, expert senior et référent accessibilité numérique de la Caisse des Dépôts.

Yann Goupil
Yann Goupil. Crédit Photo – Côme SITTLER / REA / Caisse des Dépôts

Access42 — Bonjour Yann ! Pouvez-vous vous présenter s’il vous plaît ?

Yann Goupil — Je suis Yann Goupil. Je suis le référent accessibilité numérique de la Caisse des Dépôts : je suis chargé de définir, mettre en œuvre et piloter la politique d’accessibilité numérique de cette belle institution.

J’ai un passé de consultant en systèmes d’information où, pendant 20 ans, j’ai contribué à des projets liés à la transformation numérique de grands comptes dans le secteur public et privé.

Concernant l’accessibilité, je m’intéresse au sujet depuis 2006. J’ai suivi une formation de 24 jours pour devenir Expert en accessibilité numérique en 2011, qui a clairement changé ma vie professionnelle.

Grâce à elle, j’ai pu accompagner des clients dans leur mise en conformité et en les formant.

C’est aussi grâce à cette formation que j’ai pu mettre en place une démarche pérenne d’accessibilité dans une des plus importantes institutions publiques françaises.

Access42 — Pourquoi avez-vous souhaité faire partie du groupe de relecture officiel de la traduction des WCAG 2.1 en français ?

Yann Goupil — Pour commencer, j’ai un attachement personnel pour le W3C (World Wide Web Consortium).

Pour la petite histoire, j’ai découvert les standards du web et le W3C en 2004 à la suite de la lecture du livre Designing with web standards de Jeffrey Zelmann. Cela a été une révélation pour moi, qui avais tout appris sur le tas et notamment sur comment faire de belles pages statiques avec mise en forme de tableaux en pixel perfect.

J’ai alors découvert la philosophie universaliste du W3C où tout un chacun peut contribuer à porter le web à son plus haut potentiel.

J’ai pris conscience de l’importance d’avoir des technologies et des standards ouverts à tous, non brevetés, interopérables, portables, etc. Si le web est ce qu’il est depuis plus de trente ans, c’est grâce à cela. C’est une sorte de bien commun universel qu’il faut protéger et continuer à développer.

Alors, avoir l’occasion de contribuer à la traduction d’un standard du web, c’est quelque chose qu’on ne peut pas refuser lorsqu’on travaille dans l’industrie du web depuis plus de 20 ans !

Enfin, je suis très heureux d’avoir pu le faire en représentant la Caisse des Dépôts, dont la raison d’être est l’intérêt général et œuvre dans le champ du handicap, notamment à travers le FIPHFP et Mon Parcours Handicap.

Access42 — Comment la coordination de la traduction par Access42 a-t-elle facilité le travail du comité de relecture ?

Yann GoupilAccess42 a fait un travail impeccable ! Chaque semaine, le comité de relecture travaillait sur 3 à 4 items proposés par Audrey Maniez et Sylvie Duchateau. Cette dernière faisait très régulièrement une synthèse des travaux en cours et des points d’arbitrage sur lesquels les membres du comité devaient se positionner. Le tout était très dynamique. Je trouve que ce processus de traduction s’est vite déroulé in fine.

Je n’ai pas un profil littéraire, pourtant j’ai surtout apprécié ce travail de peser chaque mot, chaque ponctuation, avec toutes les subtilités qu’offre la langue française et le pays où on la parle, puisque plusieurs membres du comité se trouvaient être Québécois, Belges, Maghrébins, et al.

Access42 — Dans votre travail au quotidien, pourquoi la traduction des WCAG 2.1 en français est-elle importante alors qu’il existe déjà le RGAA 4 ?

Yann Goupil — C’est important pour moi pour les raisons que j’ai évoquées ci-dessus sur la contribution aux standards du web portés par le W3C et plus précisément par la Web Accessibility Initiative en ce qui concerne les WCAG.

Il faut rappeler que le RGAA est une méthode d’application des WCAG et que pour chaque critère du RGAA, il y a forcément un renvoi vers le site du W3C.

D’autres documents mériteraient d’ailleurs d’être traduits comme la spécification ARIA. Personnellement, je consulte souvent les règles ARIA dans la pratique.

Access42 — Quels sont les principaux défis auxquels vous faites face pour mener à bien la solide démarche d’accessibilité numérique que la Caisse des Dépôts mène grâce à vous ?

Yann Goupil — Le premier défi a été de partir d’une feuille blanche, puisque c’est précisément la raison pour laquelle la Caisse des Dépôts m’a recruté : définir une politique d’accessibilité numérique qui n’existait pas jusqu’alors.

Le deuxième défi a été d’embarquer une bonne partie de l’organisation dans cette démarche, car si le référent accessibilité pose le cadre, le geste doit être pratiqué par tous. En cela, c’est essentiel d’avoir l’approbation de hauts sponsors, mais aussi de savoir acculturer le sujet et présenter les enjeux sociétaux à tous (en effet, je présente l’accessibilité comme un enjeu politique avant de parler technique ou conformité). Dans l’ensemble, tout le monde prend conscience de ces enjeux et les comprend parfaitement.

Le troisième défi est d’embarquer l’accessibilité de manière opérationnelle dans la construction de produits numériques. Je dirais que c’est assez facile de prendre l’accessibilité en compte dans les nouveaux projets.

Cependant, c’est beaucoup plus compliqué lorsqu’il s’agit d’intégrer l’accessibilité dans des projets existants qui connaissent leur propre roadmap, qui ont déjà des backlogs pleins à craquer, qui ont pour certains de la dette technique, etc. Je vois une différence très nette.

Access42 — Quelle est la réussite en matière d’accessibilité qui vous apporte le plus de fierté ? Pourquoi ?

Yann Goupil — La réussite qui m’apporte le plus de fierté concerne la plateforme Mon Parcours Handicap à plusieurs titres puisque j’y ai œuvré en tant qu’expert accessibilité et UX Designer avant d’être référent à la Caisse des Dépôts.

C’est le premier projet où l’accessibilité faisait clairement des impératifs dans le cycle de construction de cette plateforme numérique et où l’on nous a demandé d’être au plus haut niveau de conformité, c’est-à-dire non seulement d’être 100 % conforme au RGAA, mais aussi de prendre aussi en considération les critères AAA des WCAG. À ma connaissance, c’est le seul site en France à avoir ce plus haut niveau.

À la Caisse des Dépôts, nous avons sélectionné Access42 pour nous accompagner sur la conformité et l’accessibilité numérique de la plateforme Mon Parcours Handicap en raison de la forte expertise de ses consultants sur le RGAA et les critères WCAG de niveau AAA, ainsi que sur la pratique des audits.

En plus de cette conformité, la plateforme a été co-construite avec les usagers en situation de handicap et, pour moi, c’est ça l’essentiel.

Access42 — Selon vous, que faudrait-il faire évoluer pour que l’accessibilité numérique soit prise en compte de manière systématique et efficace ?

Yann Goupil — Œuvrant dans l’accessibilité depuis de nombreuses années maintenant, j’ai vu passer toutes sortes de raisons expliquant pourquoi l’accessibilité n’est pas assez prise en compte, allant de « Il n’y a pas assez de ressources pour apprendre l’accessibilité » dans le courant des années 2000 à « Pourquoi devrais-je faire de l’accessibilité alors que quasiment personne n’en fait et que, même si j’ai des obligations légales, de toute façon, il n’y a aucune sanction à ne pas en faire ? ».

C’est à mon avis sur ce dernier point qu’il faut agir sérieusement. On l’a vu notamment avec la mise en place du RGPD et les risques financiers faramineux induits et un organe de contrôle, la CNIL, qui joue un vrai rôle de gendarme.

En matière d’accessibilité numérique, il n’y a pour l’heure aucun organe de contrôle opérationnel ; de plus, les sanctions devraient s’aligner sur ce qui se fait déjà dans l’accessibilité du bâti, à savoir des sanctions pénales.

Par ailleurs, toute mise en ligne de plateforme, notamment dans le secteur public, devrait faire l’objet d’une remise préalable de la déclaration de conformité complète auprès de cet organe de contrôle sous peine d’amendes.

Enfin, je pense qu’il serait bon également de professionnaliser des tiers certificateurs dans la tenue des audits. Le fait d’être reconnu officiellement comme étant apte et ayant toute compétence à pratiquer des audits me semble une bonne piste, car on tombe malheureusement souvent sur des déclarations de conformité assez « exotiques » pour ne pas dire complètement bidons.

Tout cela peut paraître un peu radical, mais il faut clairement ce type de moyens pour être à la hauteur des enjeux et garantir la participation pleine et entière de nos concitoyens en situation de handicap à notre société grâce au monde numérique.

Access42 — Souhaitez-vous ajouter quelque chose, ou passer un message supplémentaire à propos de l’accessibilité numérique ?

Yann Goupil — Oui, on parle de WCAG, de RGAA, de conformité, etc. Mais il faut aussi rappeler que l’accessibilité est un droit fondamental pour les personnes handicapées, clairement indiquée dans l’article 9 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, ratifiée par la France et l’ensemble des pays européens en 2010.

Rappelons que bafouer, voire nier un droit fondamental n’est ni plus ni moins que de la discrimination. Est-ce que la société discrimine les personnes handicapées ? Demandez aux personnes premièrement concernées ce qu’elles en pensent.

À propos

  • Équipe Access42

    Access42 est un cabinet de conseil français spécialisé en accessibilité numérique. Ses services incluent des audits d’accessibilité (RGAA, WCAG, RAAM, norme européenne EN 301 549), de l’accompagnement personnalisé ainsi que des formations à l’accessibilité adaptées à tous les métiers du numérique.

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