Qu’importent les chiffres, les personnes handicapées comptent.
Cet article a été écrit en 2015, mais il reste hélas d’actualité.
Voici une traduction d’un article de Sarah Horton paru le 9 février 2015 sur Medium, et dont le titre original en anglais est Math is hard. People with disabilities matter.
Note : Un grand merci à Sarah Horton, alias @gradualclearing sur Twitter, pour son article et son autorisation à en faire une traduction. Merci aussi à David Sloan, alias @sloandr sur Twitter, pour sa citation inspirante et qui résume bien en peu de mots le combat que nous portons chez Access42.
Traduction
Quand j’ai commencé à promouvoir l’accessibilité du Web dans des projets de conception et de développement, j’étais attirée par l’argument selon lequel l’accessibilité ne concerne pas les personnes en situation de handicap, mais plutôt les gens, et que concevoir en prenant en compte les besoins des personnes en situation de handicap améliorerait les choses pour tout le monde.
Cela est dû en partie aux statistiques. N’étant pas moi-même férue de chiffres, je me suis trouvée incapable de construire un argumentaire convaincant expliquant pourquoi il était important de construire, par exemple, un cours en ligne accessible à quelqu’un ne pouvant pas voir alors que personne dans la classe n’était aveugle. Je n’ai jamais eu de bonne réponse à l’inévitable question : «mais combien de personnes handicapées utilisent notre site, de toutes façons ?». Je n’étais juste pas capable d’additionner des chiffres qui soient suffisamment importants pour être remarqués.
J’ai essayé d’autres approches – Google est aveugle, et faire un site accessible aux lecteurs d’écran bénéficie aussi aux moteurs de recherche. Puis l’argument mobile – la même approche « content first » qui bénéficie aux personnes avec un handicap visuel correspond parfaitement aux stratégies « mobile first« , qui mettent en avant ce qui est essentiel et font apparaître les contenus et fonctionnalités secondaires sur demande de l’utilisateur.
En faisant cela, je me sentais coupable d’une petite trahison, comme si j’essayais de faire de l’accessibilité pour les personnes en situation de handicap une problématique secondaire. Et d’ailleurs, je n’étais pas si efficace. Au bout du compte, d’autres priorités l’emportaient : l’indispensable police de caractères, le widget génial, les réclamations pour avoir une place en page d’accueil.
Récemment, Anne Gibson (@kirabug) a publié un article, Reframing Accessibility for the Web, sur A List Apart. Elle fournit de chouettes idées sur la façon d’amener l’accessibilité dans le processus de conception et de développement, à travers des tests utilisateurs [1] et des personas. Elle fait également valoir un argument loin des chiffres pour se tourner vers une vision de l’accessibilité inclusive, « les gens sont les gens ». Anne se définit elle-même comme une « perturbatrice générale », elle est l’auteure d’une autre œuvre intéressante et provocatrice, An Alphabet of Accessibility Issues, sur The Pastry Box.
Elle commence l’article avec la déclaration suivante :
Nous avons besoin de changer la façon dont nous parlons d’accessibilité. On enseigne à la plupart des gens que « l’accessibilité du Web signifie que les personnes en situation de handicap peuvent utiliser le Web » (définition en anglais sur le site) – la définition officielle du W3C. C’est faux. L’accessibilité du Web signifie que les gens peuvent utiliser le Web.
Comme tout bon article, il m’a interrogée dans mes prises de position (comme il l’a fait pour d’autres également, sur la liste de discussion de WebAIM et celle du groupe d’intérêt W3C WAI).
D’un côté, j’aimais le calcul qui consistait à compter « les gens » plutôt que « les personnes en situation de handicap » parce que ça représentait un plus grand chiffre. D’un autre côté, il m’a semblé que quelque chose de critique était perdu dans la reformulation.
Et j’ai réalisé que quelque part sur le chemin j’avais changé de point de vue, que l’accessibilité du Web devait se concentrer sur les personnes en situation de handicap, et s’assurer que les produits sont accessibles et utilisables. Nous devons accorder à l’accessibilité du Web une attention délibérée ou nous ne ferons pas de progrès, et nous risquons de perdre du terrain quand de nouvelles technologies émergeront.
Le principe de brouiller la définition de l’accessibilité du Web me rendait mal à l’aise, mais je n’arrivais pas à dire clairement pourquoi. J’ai demandé à mon collègue et ami, David Sloan (@sloandr), de lire mon essai avant de le publier et il a pointé une lacune qu’il a comblée parfaitement :
La seule chose que j’ajouterais c’est la question des droits humains, et la prise de conscience apportée par de nombreuses années de campagne pour l’égalité pour les personnes handicapées dont nous avons besoin en tant que militant pour l’accessibilité. Dire « ce n’est pas que pour les personnes en situation de handicap, c’est pour tout le monde » ne met pas en avant cette lutte pour l’égalité.
Dans certains contextes, mettre l’accent sur les bénéficiaires indirects de l’accessibilité peut être important, mais je crois que cette approche reviendrait à dire que la lutte contre le racisme ne concerne pas un groupe ethnique particulier, ou que l’égalité de genre ne concerne pas un genre particulier – ça concerne tout le monde. Eh bien, oui, c’est vrai, mais ça va bien au-delà de ça. Il s’agit de reconnaître que certaines personnes sont discriminées en raison d’une caractéristique spécifique, et une société moderne, mature devrait reconnaître que c’est mal et prendre des mesures pour changer l’attitude et l’environnement afin de mettre fin autant que possible à cette discrimination, pas seulement fournir plus de privilèges à des gens qui n’expérimentent pas de discrimination.
En un sens, j’ai changé d’avis sur les chiffres, dans la mesure où ils n’ont pas à être grands pour être importants. S’assurer que les personnes en situation de handicap peuvent participer doit être une raison suffisante pour construire des produits accessibles et utilisables – que ce soit pour une personne, un millier ou un million.
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