Hommage au braille et à son créateur, Louis Braille
Cet article date déjà de 2018, mais son contenu reste d’actualité.
Aujourd’hui, c’est la journée mondiale du braille et la date anniversaire de la naissance de Louis Braille, qui a donné son nom à cette écriture. Depuis presque 200 ans, le braille permet aux personnes aveugles et très malvoyantes d’accéder à l’écrit.
Dans cet article, je ne souhaite pas refaire l’historique de cette écriture, ni décrire en long et en large ce que c’est. On trouve assez de sources dans les dictionnaires et sur la toile. J’aimerais simplement vous faire profiter de mon expérience, relater ce que m’a apporté et m’apporte encore cette écriture de génie.
Contrairement à ce que l’on croit, même si le braille a été conçu au départ pour être écrit sur du papier, son utilisation au format numérique est tout aussi primordiale aujourd’hui. Le numérique vit, le braille numérique aussi !
Apprentissage et pratique du braille
Dès l’école primaire
On me demande souvent comment j’ai appris le braille et si cela a été difficile. La réponse est toujours la même : j’ai eu la chance d’apprendre le braille en CP, à 5 ans et demi. Son déchiffrage a été aussi laborieux que pour un enfant qui apprend à lire. Au début, on bute sur les mots, puis, petit à petit, la lecture et l’écriture deviennent plus fluides.
Je me souviens que le premier mot qui m’a donné du fil à retordre était « électricité ». Il faut savoir que lorsqu’on est jeune, on s’adapte à tout. Nous avons appris le braille avec une tablette comme celle-ci :
Cela consistait à percer des trous avec un poinçon en commençant de la droite vers la gauche, comme si on écrivait dans un miroir. Pour lire, on retournait la feuille et on lisait de gauche à droite. Je vous l’accorde, cela demande une certaine gymnastique, mais on s’y habitue.
On ne lit pas avec tous les doigts, mais essentiellement avec l’index et le majeur des deux mains. Chaque main se répartit une moitié de ligne. Lorsque la main droite arrive à la fin de la ligne, la gauche prend le relais pour lire le début de la ligne suivante.
Pendant ce temps, la main droite revient au milieu de la ligne et continue à lire sa moitié. Une fois que j’ai été à l’aise avec la tablette, j’ai appris à me servir de la machine Perkins, au début du CM1.
L’avantage de cet outil est que l’écriture se fait par en-dessous et que l’on peut donc écrire de gauche à droite. Chacune des six touches du clavier permet d’écrire l’un des points. Pour saisir une lettre, il faut donc taper sur plusieurs touches en même temps afin de taper les points correspondants.
Autre avantage : on peut écrire plus vite qu’à la tablette. Mais l’inconvénient et que la machine est très lourde, donc difficilement transportable et qu’elle est très bruyante. Imaginez une classe de 12 élèves écrivant tous à la Perkins, il y a de quoi avoir besoin de boules Quies.
J’ai utilisé la Perkins à l’école pour jeunes aveugles, mais dès la troisième, lorsque j’ai intégré mon collège de secteur, je me suis servie de ma tablette, plus légère à transporter et beaucoup plus discrète. Afin de rendre mes devoirs, je me servais d’une petite machine à écrire (nous avions appris la dactylographie dès la 6ème).
Cette machine enregistrait 17 caractères avant de les imprimer. Lorsque je me rendais compte que j’avais fait une faute de frappe, j’effaçais les caractères que je venais de taper et je recommençais. Une fois les caractères imprimés, s’il subsistait des erreurs, il fallait demander à quelqu’un de corriger avec du Tipp-Ex. Les devoirs, surtout ceux de mathématiques, étaient peu lisibles pour les profs puisqu’il n’y avait aucun moyen pour moi de me relire.
À l’université
C’est pourquoi, dès que cela a été possible, j’ai eu un ordinateur équipé d’une synthèse vocale. J’ai cependant dû attendre ma deuxième année de fac pour avoir un bloc-notes braille.
À cette époque, le bloc-notes braille était aussi très lourd, plus de trois kilos, avec le poids de l’ordinateur, cela faisait un matériel lourd à transporter, mais mon autonomie s’était accrue puisque je pouvais désormais tout relire et corriger.
Depuis, j’ai eu plusieurs plages braille, aussi bien au bureau qu’à la maison.
Avec l’arrivée de mon bloc-notes braille, les professeurs étaient aussi très contents du changement. J’ai d’ailleurs une remarque d’une professeure disant que désormais, je faisais beaucoup moins de bruit avec ce bloc-notes qu’avec ma tablette. Cette remarque m’a certes contrariée, mais je dois reconnaître que c’était moins fatigant que de faire des trous dans du papier.
Le passage à l’informatique avait d’autres avantages : les livres transcrits en braille prennent beaucoup de place. Les Misérables de Victor Hugo, par exemple, représentent 50 volumes en braille. Un simple petit dictionnaire Larousse occupe lui aussi plusieurs livres et il faut un certain temps pour retrouver un mot dans le volume approprié.
Il existe en braille, une méthode d’abrégé afin de gagner de la place. Ainsi, bonjour s’abrège « bj », cependant s’abrège « cp ».
Il y a des abréviations pour certains sons. Ainsi, on peut abréger le son « on », dans garçon, ou le son « ar » dans partage, etc. L’abrégé permet de gagner de la place, mais il me fallait tout de même un caddie de supermarché pour transporter les livres dont j’avais besoin pour mon bac français.
Le braille papier était synonyme d’échanges avec les personnes voyantes de la famille ou les amis. Nous ne comptons plus le nombre de tablettes achetées pour que mes correspondants puissent m’écrire en braille.
Une très bonne amie, partie en pension à la fin de la seconde, m’a écrit très régulièrement des lettres en braille abrégé. Elle a appris le braille en 8 jours et l’écriture abrégée petit à petit. Même mon grand-père a appris le braille. Mes parents lui ont acheté une Perkins et il m’a transcrit un grand nombre de livres de recettes ou de guides.
Utilisation du braille informatique
L’acquisition de mon bloc-notes braille a nécessité de nouveaux apprentissages. Alors que le braille classique s’écrit à l’aide d’un codage de six points, ce qui permet 64 combinaisons, le braille informatique est un codage de 8 points, augmentant le nombre de combinaisons à 256. Dans le braille classique, pour écrire une lettre en majuscule, il faut ajouter avant la lettre un signe indiquant qu’il s’agit d’une lettre majuscule.
Il faut donc deux signes pour écrire un A par exemple. Avec un ordinateur, lorsqu’on tape un code braille, celui-ci est associé au code informatique ASCII [[American Standard Code for Information Interchange]] correspondant.
En conséquence, un unique signe braille suffit à écrire un A. Chaque constructeur de bloc-notes avait sa propre table braille, un encodage de points spécifique. Cela signifiait qu’à chaque fois que l’on changeait de matériel, il fallait aussi réapprendre un encodage.
Depuis 2007, il y existe une table braille française unifiée, un encodage sur lequel tout le monde s’est mis d’accord. On peut cependant personnaliser sa table braille ou en choisir une autre si on préfère. Maintenant que nous utilisons l’informatique, peu de personnes voyantes apprennent le braille. On n’achète plus de tablettes braille. On s’envoie des sms, des mails, et la personne derrière ne soupçonne pas que son ou sa correspondante lit en braille. C’est l’ordinateur qui convertit.
Pourquoi brailler sur un ordinateur ou un appareil mobile ?
Lire en braille avec son ordinateur ou son téléphone a de nombreux avantages par rapport à l’utilisation d’une synthèse vocale :
- On peut lire ses notes ou sa présentation en conférence sans gêner tout le monde, en toute discrétion.
- On peut envoyer des sms ou utiliser son portable en toute discrétion sans avoir à sortir l’appareil et craindre de se le faire arracher dans les transports en commun. Le braille est en outre très utile lorsque l’environnement d’un métro est très bruyant et qu’on n’entend pas bien la synthèse vocale, ou lorsqu’on ne souhaite pas que ses voisins de voyage entendent ce qu’on est en train de lire.
- Il est possible de repérer et de corriger rapidement toute faute d’orthographe. En effet, lorsqu’on repère un mot mal orthographié, il suffit d’appuyer sur une petite touche située au-dessus de la lettre où l’on veut positionner le curseur pour placer ce curseur à l’endroit désiré et corriger son erreur.
- Certaines de ces fautes se repèrent plus facilement en braille. J’ai vu un jour sur une liste de diffusion que quelqu’un avait écrit « Voice Sauveur », à propos du célèbre lecteur d’écran VoiceOver d’Apple. En vocal, on n’entend pas la différence, en braille si. Afin d’aller vite, je lisais les compte Twitter avec une synthèse vocale. Un jour, je me suis aperçue que le compte de nos amis Empreinte Digitale ne s’écrivait pas comme une empreinte mais avec le chiffre 1 à la place du « ein », @empr1tedigitale. Autre orthographe improbable : quelle surprise quand je lus que ce que j’entendais « chocobon » s’écrivait « schoko-bons » ? À ce niveau-là, le braille est un complément indispensable au vocal. Inversement, grâce à la synthèse vocale, on peut entendre que le mot « esentielle » a un s en moins, et que le mot « prépppparation » a des p en trop.
- Le changement de langue est instantané. Si comme moi, on lit régulièrement du texte en anglais ou en allemand, pas besoin d’opérer une bascule de synthèse vocale, les doigts repèrent automatiquement la langue du texte affiché.
- Autre utilisation improbable : il est enfin possible de lire les sous-titres d’une chanson, d’une vidéo sur Youtube ou d’un film en anglais en braille !
Conclusions et perspectives
Vous l’aurez compris, le braille est un outil essentiel dans ma vie. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le braille imprimé ou embossé n’est pas mort. On le trouve sur les boîtes de médicaments ou dans les ascenseurs. Je l’utilise en cuisine pour repérer les boutons de ma plaque de cuisson :
Mais aussi pour jouer en famille :
Le braille numérique est lui aussi essentiel pour tous les avantages cités plus haut ; on peut le corriger, il est possible de stocker des dizaines de documents sur peu d’espace et il permet de communiquer plus facilement, notamment avec des personnes ne sachant pas lire le braille.
Mais n’oublions pas que beaucoup de personnes aveugles ou très malvoyantes ne lisent pas le braille, car leur toucher n’est pas assez développé si elles l’ont appris tard ou parce qu’elles ne l’ont pas pratiqué.
Pour en savoir plus sur l’usage du braille aujourd’hui, ne manquez pas le rapport de recherche de l’INSHEA sur l’écriture et la lecture des personnes braillistes.
Lire en braille demande de l’entraînement. Les plages ou bloc-notes braille sont malheureusement très coûteux. Je dis souvent qu’acheter une plage braille revient à acheter une voiture.
Mais que serais-je sans braille ? Je serais handicapée ! Grâce au braille, je fais ce qu’il me plaît. Encore merci, Louis Braille, pour tout ce que vous nous avez apporté grâce à votre géniale invention ! Longue vie au braille !
1 commentaire
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Hommage au braille et à son créateur
Bel hommage à notre écriture anaglyptographique!
Personnellement, je lis le braille avec mes deux index, sans les majeurs. Je suppose que c'est l'enseignant qui, dès le début de l'apprentissage, impose sa méthode.
Il faut souligner, par ailleurs, le caractère irremplaçable du braille dans les mathématiques et la musique! Une synthèse vocale est bien démunie pour nous lire des clés d'octaves, des silences, des notes rondes, blanches, noires ou croches, des altérations, des nuances, des signes d'accord, des doigtés... Faisant partie d'un choeur de personnes voyantes, j'apprécie de pouvoir déchiffrer mes partitions en braille aussi vite que les autres choristes sur mon bloc-notes braille!