20^e édition de Paris Web en 2025 : notre compte-rendu

Conférence anniversaire

Paris Web a débuté par une conférence anniversaire pendant laquelle Stéphane Deschamps et Corinne Durrmeyer, qui ont présidé l’association par le passé, ont présenté l’ADN de Paris Web, à savoir l’inclusivité.

Cette conférence émouvante a été l’occasion de rappeler quelques souvenirs marquants, comme la conférence sur la LSF (langue des signes française) en 2015 par Sandrine Schwartz, une des interprètes habituées de Paris Web, ou encore la démonstration d’un jeu de type casse-briques accessible en 2014 par David Rousset.

Une réflexion de fond sur le validisme avec Tamara Sredojevic

Si vous devez voir une seule conférence de cette édition de Paris Web, c’est celle-ci : « Design validiste : comment rompre les normes systémiques » de Tamara Sredojevic.

L’oratrice nous y fait part d’une réflexion très poussée sur le validisme et la façon dont les normes systémiques impactent nos pratiques. La conférence répond à des questions que toute personne travaillant dans l’accessibilité s’est déjà posées : pourquoi le manque d’accessibilité n’est-il pas déjà réglé ? Pourquoi l’accessibilité est-elle toujours considérée comme un bonus, plutôt que comme la base ?

Pourquoi, alors que l’on travaille sur l’accessibilité web depuis près de trente ans et alors que l’on sait comment rendre les sites accessibles, ça n’est toujours pas fait ? Pourquoi aussi peu de sites sont-ils conformes au RGAA ^[1] ? Pourquoi les équipes ne sont-elles pas toutes déjà formées ?

Pour répondre à ces questions, Tamara Sredojevic explore les systèmes qui régissent notre société avec humour et finesse, en s’appuyant sur un corpus de ressources solides. Elle invite le public à analyser le système auquel nous appartenons pour comprendre pourquoi l’accessibilité reste un sujet aussi difficile à faire avancer.

Au fil de la conférence, elle construit un schéma représentant la façon dont les systèmes se nourrissent les uns les autres et créent cette société validiste où l’accessibilité est vue comme négligeable et mise en compétition avec les profits, au lieu d’être considérée comme une des fondations du vivre ensemble.

L’oratrice apporte des pistes de réflexion importantes. Elle nous encourage à faire preuve de plus de patience avec notre entourage, qui n’avance pas forcément au même rythme que nous. Si les personnes travaillant dans le domaine de l’accessibilité ont parfois l’impression de vivre une journée sans fin en expliquant les mêmes principes encore et encore, il ne faut pas oublier que, pour la plupart des gens, c’est hélas un sujet qu’ils découvrent tout juste.

« On s’en fiche de savoir par où on commence, tant qu’on commence quelque part », nous dit Tamara Sredojevic. Cela nous semble une bonne façon de ne pas s’user dans ce combat que nous menons au quotidien pour plus d’accessibilité : toute avancée est bonne à prendre. Loin de prôner la positivité artificielle, l’oratrice nous pousse cependant à adopter une position de bienveillance et à ne pas laisser les avancées disparaître derrière les obstacles à dépasser.

Finalement, grâce à cette conférence et aux moments d’échange informels qui l’ont suivie, Tamara Sredojevic propose de revenir au « pourquoi » de notre métier, plutôt que de se concentrer uniquement sur le « comment ». Et ça fait du bien. Ce type de conférences originales, inspirantes et remuantes sont pour nous le point fort de Paris Web.

Des formations inclusives aux personnes sourdes signantes avec Cindy Quai

Cindy Quai est une formatrice en design sourde dont la langue maternelle est la LSF.

Sa conférence « Pour une formation accessible du design » permet d’en savoir plus sur les difficultés d’accès des personnes sourdes signantes à des cursus variés et leurs besoins en formation.

En s’appuyant à la fois sur ses expériences d’apprenante et de formatrice, Cindy Quai rappelle la diversité des profils des personnes sourdes. Selon elle, le sous-titrage et les autres textes écrits ne sont pas des alternatives suffisantes pour accompagner les personnes dont la langue de naissance est la LSF.

Cindy Quai invite à explorer d’autres approches pédagogiques : par exemple, commencer les formations par de la pratique, prévoir des moments d’échange et proposer un accompagnement personnalisé pour chaque élève.

La mise à disposition de contenus rédigés avec la méthode Facile à Lire et à Comprendre (FALC) et l’utilisation d’images facilitent aussi l’acquisition des savoirs.

Une approche itérative avec des tests utilisateurs avec Anne Faubry et Chloé Corfmat

Dans leur conférence « Concevoir accessible pour les personnes déficientes visuelles – regards croisés design/dev », Anne Faubry et Chloé Corfmat ont présenté le Portail de l’audiodescription qu’elles ont conçu et développé pour le Ministère de la Culture.

Dans un premier temps, le contenu du site s’adressait en priorité aux personnes aveugles et malvoyantes : c’est pourquoi elles ont réalisé des tests utilisateurs avec des personnes concernées tout au long du développement du projet.

Cette approche leur a fait comprendre que les besoins sont différents entre ces deux publics. D’où l’importance de bien se renseigner sur les impacts des défauts d’accessibilité pour des personnes ayant différents types de handicaps.

Ces tests utilisateurs ont permis d’affiner le service en fonction des besoins exprimés, notamment par la création d’une infolettre. Celle-ci s’avère plus utilisée que le site initial.

Au sein d’Access42, nous recommandons à nos clients d’inclure l’accessibilité tout au long de la conception de leurs projets, et pas seulement lorsque ceux-ci sont achevés. Selon nous, une démarche d’accessibilité efficace consiste à combiner l’évaluation de la conformité aux normes avec de la recherche utilisateur.

Or, la mention « au-delà de la conformité » que l’on peut lire sur le retour d’expérience d’Anne Faubry sur le site des Designers éthiques nous questionne, étant donné la non-conformité du Portail de l’audiodescription à l’heure actuelle.

En effet, certaines décisions de conception, visant à améliorer l’expérience des personnes aveugles et malvoyantes, peuvent paradoxalement dégrader l’expérience d’autres personnes handicapées. Par exemple, modifier la prononciation de certains noms de marques ou d’abréviations par les technologies d’assistance peut créer des situations bloquantes pour les personnes qui se servent de la commande vocale.

Or, le Portail de l’audiodescription doit être utilisable par tout public et accessible à l’ensemble des personnes handicapées, à plus forte raison parce que les organismes français de diffusion audiovisuelle s’en servent de vitrine, ce qui accroît d’autant plus sa portée.

La lisibilité de la typographie avec Damien Collot

La conférence « Identifier et choisir une typographie lisible » de Damien Collot permet de découvrir les ancêtres de typographies courantes aujourd’hui et de comprendre pourquoi certaines polices de caractères proposent une expérience plus agréable que d’autres.

En cela, la conférence de Damien Collot propose une démarche complémentaire à la mise en conformité pour améliorer la lisibilité des contenus. Celle-ci dépend du contexte, de l’apparence générale du texte (alignement, hauteur de lignes, marges) et des choix typographiques.

Pour nous aider à comprendre ce qui améliore le confort de lecture, Damien Collot a présenté quelques étapes clés au cours de la longue histoire de l’écriture.

Cette conférence est certes moins liée à l’accessibilité, mais propose une bonne approche pour découvrir la typographie et l’impact du choix des polices de caractères sur le confort de consultation.

Pour rebondir sur cette conférence, nous souhaitons dire un mot sur l’accessibilité de la typographie, car dans le cadre de notre travail chez Access42, nos clients nous demandent souvent quelle police de caractères choisir pour l’accessibilité.

En réalité, les normes et référentiels d’accessibilité numérique ne contiennent pas de recommandation particulière à ce sujet. En effet, les critères d’accessibilité se limitent à l’apparence du texte et à la possibilité, pour les personnes malvoyantes ou DYS en particulier, de pouvoir l’adapter :

• dans le RGAA, deux critères obligatoires traitent de typographie : est-il possible d’agrandir la taille de texte (critère 10.4) et de redéfinir les espaces typographiques (marges, interlignages, espaces entre les mots et interlettrage) (critère 10.12) ?
• dans les WCAG ^[2], le critère de succès 1.4.8 Présentation visuelle, bien que facultatif, propose davantage de recommandations pour améliorer la lisibilité pour les internautes.

Ainsi, pour évaluer le niveau d’accessibilité d’une police de caractères ou vous aider à choisir entre deux pistes typographiques, réaliser de la recherche utilisateur (tests d’utilisabilité par exemple) peut venir en complément d’une démarche de mise en conformité.

Bonus, en parallèle à l’accessibilité

Pour terminer, citons deux autres conférences qui ont retenu notre attention.

De la conférence sur l’Unicode de Loïc Marleix, nous retenons le SignWriting : un système d’écriture permettant de représenter les différentes langues des signes du monde par la danseuse et pédagogue américaine Valerie Sutton.

En sortant complètement de l’accessibilité, nous avons particulièrement apprécié la conférence sur le S de HTTPS d’Agnès Haasser, qui a nourri notre culture générale tout en réussissant à nous faire faire des mathématiques de manière amusante.

Conclusion

Cette année encore, les bénévoles de Paris Web ont joué un rôle majeur pour organiser un évènement qui soit le plus accessible possible aux personnes handicapées.

Le lieu, la présence des interprètes LSF et la vélotypie ont permis de rendre l’évènement accessible notamment aux personnes ayant un handicap moteur ainsi qu’aux personnes sourdes et malentendantes.

Nous avons particulièrement apprécié la mise à disposition d’une salle calme, une nouveauté permettant aux personnes qui en ressentent le besoin d’échapper à la surstimulation d’un tel évènement et de se ressourcer.

Notre liste de souhaits concerne les orateurs et oratrices des prochaines éditions : pensez à décrire le contenu visuel de vos diapositives, notamment quand vous utilisez de l’humour ! Cela rendra votre présentation plus accessible aux personnes aveugles et malvoyantes, y compris quand elles consulteront la vidéo de votre présentation après coup.

Quoi qu’il en soit, nous espérons être de la partie pour la 21^e édition en 2026, avec toujours des conférences inspirantes et quelques pépites qui nous donnent du grain à moudre pour mettre nos pratiques métier en perspective.