Intelligence artificielle, chatbots et assistants vocaux : quelle expérience utilisateur pour les personnes handicapées ?

Les chatbots occupent désormais une place considérable sur le web, et les assistants vocaux s’invitent dans le quotidien de nombreuses personnes, à l’instar d’autres outils d’intelligence artificielle (IA).

Utilisés par exemple dans des applications de service client, pour la recherche d’information ou encore pour gérer des tâches quotidiennes, ces outils promettent simplicité, efficacité et nouvelles opportunités. Mais qu’en est-il pour les personnes handicapées ?

Au lieu d’aborder la question par le prisme de la conformité aux normes d’accessibilité, nous avons choisi d’examiner ce que les chatbots et les assistants vocaux changent – ou non – dans l’expérience concrète des personnes concernées. Pour cela, nous avons mené une étude auprès de notre panel de testeurs et testeuses en situation de handicap.

Objectifs de notre étude sur l’accessibilité des chatbots et des assistants vocaux

Avec cette étude, nous avons cherché à comprendre deux choses :

  • comment les chatbots et assistants vocaux, dans leur forme actuelle, influencent l’expérience des personnes en situation de handicap ;
  • comment les personnes handicapées perçoivent et utilisent ces outils.

Nous voulions aussi identifier des axes pour améliorer l’accessibilité de ces outils, notamment en ce qui concerne les structures techniques, leurs fonctionnalités, ou encore les capacités de vocalisation.

C’est pourquoi plusieurs objectifs ont été fixés au démarrage :

  • comprendre les usages que font les personnes handicapées des chatbots et assistants vocaux ;
  • récolter leurs expériences et perceptions lorsqu’elles utilisent ces assistants numériques ;
  • identifier les obstacles qui les gênent voire les empêchent d’y accéder, mais aussi les éléments facilitateurs qui améliorent leur expérience ;
  • mettre en lumière leurs besoins et leurs attentes vis-à-vis de ces outils.

Protocole pour évaluer l’expérience des personnes handicapées avec les chatbots et assistants vocaux

Pour observer l’expérience d’un échantillon d’utilisateurs et utilisatrices, plusieurs méthodes étaient à notre disposition :

  • tests utilisateurs : observation directe de cas d’utilisation d’un outil ou d’un site donné, afin d’en vérifier l’utilisabilité par exemple ;
  • focus groups et entretiens collectifs : sessions de discussion en groupes (5 à 8 personnes) qui permettent d’observer les usages, les freins et de recueillir des suggestions ;
  • interviews approfondies : entretiens individuels permettant d’approfondir des cas d’usage.

Pour répondre à nos objectifs, nous avons choisi la méthode des interviews approfondies semi-dirigées. En effet, les interviews permettent de recueillir des retours plus personnels et de collecter des données qualitatives.

De plus, contrairement aux focus groups, les interviews approfondies permettent de mieux comprendre la réalité quotidienne de chaque personne (environnement, outils d’assistance, etc.) sans la pression d’un groupe.

Cette méthode de recherche utilisateur est particulièrement adaptée pour approfondir certains cas d’usage ou explorer un usage spécifique (application métier, logiciel interne, etc.).

Outils étudiés

L’étude avait pour ambition d’observer les usages de personnes handicapées sur une sélection très vaste d’assistants numériques. Nous avons donc choisi d’observer les usages de trois types d’IA :

Personnes interviewées

Nous avons réalisé 13 entretiens en constituant un échantillon diversifié au regard de plusieurs critères :

  • situation de handicap et technologies d’assistance, avec la répartition suivante :
    • 7 personnes aveugles, utilisant soit des lecteurs d’écran (JAWS, NVDA, VoiceOver, Narrateur) et pour certaines une plage braille,
    • 2 personnes malvoyantes, utilisant ZoomText, Dragon, et/ou un clavier à grosses touches,
    • 2 personnes avec un handicap cognitif (trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, trouble du spectre autistique), utilisant des assistants vocaux et divers outils d’organisation,
    • 2 personnes avec un handicap moteur (affection des muscles), utilisant des logiciels de dictée vocale et trackball.
  • âge : entre 20 et 60 ans ;
  • profession : sans emploi, éducation, conseil, numérique ;
  • usages du numérique : smartphone, ordinateur, usage professionnel ou personnel.

Malheureusement, nous n’avons pas pu interviewer de personnes sourdes ou présentant un handicap lié à l’oralisation [1]. Pourtant, leurs retours sont essentiels, en particulier dans le cas des assistants vocaux, qui reposent sur la reconnaissance et la synthèse vocales.

En effet, une étude a montré que le taux d’erreur de reconnaissance des mots par une intelligence artificielle atteint environ 78 % pour les personnes sourdes, contre seulement 18 % pour les personnes entendantes [2].

De leur côté, les personnes atteintes de dysarthrie (un trouble de l’articulation de la parole) sont confrontées aux mêmes difficultés : aucun assistant vocal ne semble avoir été conçu pour comprendre les caractéristiques uniques de leur parole [3].

Notons néanmoins que la recherche progresse rapidement sur le sujet, grâce à l’évolution des intelligences artificielles génératives [4].

Synthèse des retours d’expérience

Dans cette partie, nous résumons les retours exprimés par les personnes interviewées à l’égard des 3 types d’assistants numériques étudiés :

Des chatbots web frustrants

Usages des chatbots web

L’utilisation des chatbots web est très souvent décrite comme une utilisation par dépit, en l’absence d’autres solutions.

« On était obligés de passer par le chatbot au départ. Et ça, c’était très énervant parce qu’il ne comprenait rien. »

Témoignage d’une personne aveugle

Points faibles des chatbots web et attentes

Les retours sont unanimes : l’ensemble des personnes interviewées est si peu satisfait des chatbots web actuels, qu’aucun aspect positif ne ressort des entretiens. Elles les disent difficiles, voire impossibles à utiliser selon le mode de navigation, à cause d’interfaces souvent complexes et d’affichages peu adaptés.

Les chatbots web sont décrits comme inefficaces, produisant des réponses décourageantes ou perturbantes. Ces outils génèrent d’autant plus de frustration que les personnes interrogées en attendaient beaucoup.

« Ça répond à côté de la plaque. »

Témoignage d’une personne ayant un handicap cognitif

« Ça n’est pas du tout utile. »

Témoignage d’une personne aveugle

Les personnes interrogées expriment un besoin commun : disposer d’une interface épurée, personnalisable (contrastes de couleurs, taille et minimisation de la taille du chatbot) et aisée à parcourir.

Elles attendent aussi des chatbots web qu’ils soient capables de reformuler leurs demandes et qu’ils proposent, en cas d’échec, de passer le relai à un être humain.

Des chatbots IA appréciés

Usages des chatbots IA

Les personnes interviewées utilisent les chatbots conversationnels d’IA principalement pour rechercher de l’information, obtenir de l’aide dans la compréhension de textes ou encore accompagner la rédaction ou la synthèse de documents.

Dans certains cas, les chatbots IA sont également utilisés comme compagnon, tel un ami, un confident ou un conseiller à qui parler.

Aspects positifs des chatbots IA

Les personnes interviewées sont plutôt enthousiastes à l’égard des chatbots IA. En effet, elles apprécient la rapidité des interactions et la pertinence des réponses.

Leur intérêt est également vanté dans la simplification de certaines tâches (rédaction de courrier, analyse de documents administratifs, etc.).

L’accessibilité des chatbots IA n’est pas vraiment critiquée, en effet, les personnes interviewées, qu’elles soient aveugles, malvoyantes ou avec un handicap moteur, les disent globalement accessibles avec leurs outils d’assistance (sauf dans le cas particulier de Gemini, selon une personne interviewée).

« J’ai été bluffée par ChatGPT »

Témoignage d’une personne aveugle

« [ChatGPT], c’est l’application qui, pour moi, est bien accessible. »

Témoignage d’une personne aveugle

Points faibles des chatbots IA et attentes

Les principales critiques des chatbots IA concernent surtout la longueur et la verbosité des réponses.

« [ChatGPT] fait de belles phrases, de belles introductions. C’est joli, ça me fait perdre du temps à la lecture. »

Témoignage d’une personne aveugle

Les personnes interrogées ont exprimé le besoin de définir le niveau de détail attendu (court ou long) et pouvoir choisir d’aller plus loin si nécessaire.

« [que cela soit] c’est comme un jeu vidéo […] dès que vous avez terminé une étape, le jeu va vous emmener vers une autre étape »

Témoignage d’une personne avec un handicap moteur

En particulier, les personnes avec un handicap cognitif expriment une certaine frustration lorsque les réponses ne sont pas en adéquation avec l’objet de la demande.

Elles ont exprimé le souhait que les chatbots les aident à reformuler, leur proposent des exemples ou encore simplifient le vocabulaire utilisé dans leurs réponses.

« [Je souhaite qu’il me] demande : “voulez-vous reformuler ?” »

Témoignage d’une personne avec un handicap cognitif

Les utilisateurs et utilisatrices attendent clairement un mode adaptatif, avec des chatbots qui s’adaptent au profil cognitif de chaque personne.

Enfin, concernant le mode d’interaction, les personnes interrogées soulignent le besoin d’une expérience plus simple et naturelle, notamment à travers les interactions vocales directes, qui faciliterait l’utilisation de ces outils en particulier pour les personnes en situation de handicap moteur [5].

Des assistants vocaux jugés limités

Usages des assistants vocaux

Les assistants vocaux sont principalement utilisés pour des tâches simples comme l’envoi de messages, la consultation d’évènements ou la configuration de rappels dans un agenda, ou encore l’utilisation des fonctionnalités d’un téléphone sans utiliser le clavier.

Aspects positifs des assistants vocaux

Les assistants vocaux sont jugés plutôt simples d’utilisation par les personnes handicapées que nous avons interviewées. Ils offrent une assistance évaluée comme essentielle dès qu’ils sont intégrés à la gestion des tâches quotidienne chez une personne.

« Qu’il y ait du vocal, c’est très bien pour les gens qui ont des troubles moteurs comme moi. »

Témoignage d’une personne avec un handicap moteur

Points faibles des assistants vocaux et attentes

Cependant, bien qu’elles en soient satisfaites, les personnes interviewées s’accordent sur la nécessité d’améliorer la reconnaissance vocale afin d’offrir une reconnaissance plus fine des demandes pour réduire les répétitions de commandes.

Elles attendent de ces assistants qu’ils soient plus interactifs en offrant un guidage plus clair et des réponses plus pertinentes aux demandes.

« J’ai le sentiment que mon message n’est pas entendu, et ça me frustre. »

Témoignage d’une personne aveugle

Enfin, la configuration des assistants vocaux est souvent un point de blocage comme nous l’a indiqué une personne ayant un handicap cognitif, car les menus étant souvent profonds et complexes.

Conclusion : assistants numériques et accessibilité, entre promesses et frustrations

Les assistants numériques, et plus encore ceux propulsés par des intelligences artificielles génératives, présentent un fort potentiel pour améliorer l’accessibilité numérique. Leurs interfaces conversationnelles multimodales peuvent devenir de puissants leviers d’accès à l’information.

Ce potentiel en matière d’accessibilité n’empêche pas de prendre en compte les critiques sociales et écologiques légitimes sur l’IA par ailleurs [6].

Loin d’affirmer des résultats définitifs quant aux bénéfices des assistants numériques avec intelligence artificielle pour les personnes en situation de handicap, les témoignages recueillis dans le cadre de cette étude ont souligné à la fois des bénéfices perçus et des attentes en termes d’amélioration.

  • Pour les personnes ayant un handicap visuel, ces technologies semblent faciliter la recherche d’informations et les activités rédactionnelles, tout en simplifiant les interactions en réduisant les contraintes liées aux interfaces visuelles.
  • Pour les personnes avec un handicap cognitif, le potentiel d’accompagnement éducatif et organisationnel ressort fortement, avec une attente claire sur la simplification du langage et la structuration progressive des échanges.
  • Pour les personnes avec un handicap moteur, les commandes vocales offrent une opportunité notable de réduire les contraintes physiques des interactions.

Toutefois, cette étude nous permet de souligner également que ce potentiel reste conditionné à une conception rigoureuse et réfléchie des assistants numériques.

En effet, les personnes interrogées ont indiqué que les expériences peuvent rapidement devenir frustrantes ou inefficaces si ces outils ne répondent pas à certaines exigences fondamentales déjà bien documentées dans la littérature spécialisée sur la recherche utilisateur adaptée aux personnes handicapées.

Parmi ces exigences, rappelons notamment :

  • la nécessité d’intégrer dès le départ des utilisateurs et utilisatrices en situation de handicap au moyen de démarches de conception collaborative ;
  • l’importance cruciale d’établir un cadre sécurisant et respectueux des données personnelles, notamment à l’aide du RGPD (Règlement général sur la protection des données) ;
  • le respect des normes d’accessibilité telles que décrites dans le RGAA (Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité) ou les WCAG (Règles pour l’accessibilité des contenus web) ;
  • l’importance de proposer des interfaces épurées, modulables et personnalisables, minimisant les distractions ;
  • le besoin de structurer et d’adapter les contenus afin d’offrir par défaut des informations concises, pouvant être enrichies selon les besoins spécifiques de chaque personne ;
  • enfin, la possibilité de recourir facilement à une assistance humaine lorsque le chatbot atteint ses limites.

Ces recommandations, loin d’être nouvelles, sont largement validées par la littérature existante sur l’accessibilité numérique (cf. section Ressources).

Notre étude confirme ainsi leur importance cruciale : lorsque ces exigences ne sont pas respectées – comme c’est souvent le cas des chatbots web actuels –, l’expérience utilisateur se dégrade fortement, limitant considérablement l’efficacité et l’utilité des outils proposés.

En particulier, lorsqu’un outil embarquant de l’intelligence artificielle n’est pas accessible, les personnes handicapées ne peuvent pas l’utiliser, ou alors au prix de grandes difficultés. Il est donc indispensable que ces outils soient techniquement accessibles pour que les personnes en situation de handicap puissent les utiliser au même titre que les autres.

Importance de la recherche utilisateur pour faire progresser l’accessibilité numérique

Cette étude souligne la pertinence de la recherche utilisateur pour implémenter l’accessibilité numérique.

En effet, recherche utilisateur adaptée pour les personnes en situation de handicap complète à la fois les approches traditionnelles d’accessibilité technique (normes, standards, audits) et la recherche utilisateur classique.

Elle enrichit ces démarches en apportant une compréhension concrète et approfondie de l’expérience réelle des personnes handicapées, lesquelles ont souvent des vécus et des contraintes spécifiques difficiles à imaginer sans échange direct.

Effectuer de la recherche utilisateur dédiée à l’accessibilité permet ainsi de saisir les nuances subtiles des expériences vécues par les personnes en situation de handicap, et de mieux appréhender leurs attentes, besoins, frustrations et stratégies d’utilisation.

En apportant ces éléments de compréhension essentiels, cette démarche d’UX research adaptée facilite l’intégration de ces publics dans un projet de conception, souvent mal compris et donc sous-représentés, voire exclus pendant la définition des personas, des scénarios d’utilisation et des parcours client.

Ressources

Plusieurs organismes se sont déjà intéressés à l’accessibilité des chatbots. Les ressources ci-dessous permettent d’approfondir le sujet ainsi que les applications concrètes pour améliorer ces assistants numériques.

Participez à nos tests utilisateurs et recevez un bon d’achat

Vous êtes en situation de handicap ? Participez à la recherche utilisateur menée par la coopérative Access42 et recevez un bon d’achat en remerciement.

Cette démarche vise à aider les collectivités publiques et les entreprises privées à améliorer l’accessibilité de leurs sites web et applications mobiles.

Selon vos envies et vos disponibilités, vous pouvez prendre part à des entretiens, des tests utilisateurs ou des ateliers participatifs.

À chaque fois que vous participez, vous recevez un bon d’achat.

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À propos

  • Équipe Access42

    Access42 est un cabinet de conseil français spécialisé en accessibilité numérique. Ses services incluent des audits d’accessibilité (RGAA, WCAG, norme européenne EN 301 549, RAWeb, RAAM), de l’accompagnement personnalisé ainsi que des formations à l’accessibilité adaptées à tous les métiers du numérique.

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