Interview de Julie Moynat, experte en accessibilité numérique et membre du jury de certification d’Access42
C’est au tour de notre consœur Julie Moynat de se prêter au jeu de l’interview. À la fois intégratrice web, experte en accessibilité numérique et membre externe de notre jury de certification, Julie œuvre depuis des années en faveur de l’accessibilité.
Sa connaissance fine du domaine et son expérience sont un véritable atout pour évaluer les examens de certification organisés par Access42.
Après votre lecture, ne manquez pas son blog, où elle partage ses conseils et ses réflexions sur l’accessibilité, mais aussi son expérience face au monde du travail.
Access42 – Bonjour Julie ! En quoi consiste ton métier aujourd’hui ?
Julie Moynat – Bonjour et merci de m’accueillir dans votre blog ! J’ai deux métiers que j’exerce au sein de mon activité, Copsaé :
- développeuse de sites web accessibles où je réalise des sites web de A à Z avec WordPress, ou bien je réalise des intégrations HTML/CSS dans d’autres environnements lors d’un travail à plusieurs ;
- et consultante en accessibilité web où je fais des audits RGAA (Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité), des accompagnements vers la mise en accessibilité… Je délivre des conseils sur le sujet. Et c’est dans le cadre de ce métier que je suis donc jury des certifications d’Access42.
Access42 – Pourquoi avoir accepté de faire partie du jury de certification d’Access42 ?
Julie Moynat – J’ai accepté de faire partie de ce jury, car ça me semblait être une expérience intéressante. Cela me permet de varier mes activités et de contribuer un petit peu au domaine de la formation.
Quand je parle d’accessibilité, j’insiste toujours sur le fait qu’il faut se former à l’aide de personnes compétentes et ne pas uniquement s’autoformer. Ça me semble donc important de pouvoir participer à la partie formation même si c’est juste en tant que jury, car je donne encore peu de formations moi-même.
Ma confiance dans la qualité des formations délivrées par Access42 a aussi été un critère déterminant. C’est un honneur de faire partie de ce jury, et ça me permet aussi d’avoir des échanges enrichissants avec mes consœurs et confrères !
Access42 – Selon toi, pourquoi est-il important de faire certifier ses compétences professionnelles en matière d’accessibilité numérique ?
Julie Moynat – Certifier ses compétences professionnelles en accessibilité numérique me semble important pour plusieurs raisons :
- d’abord, pour soi-même et pour les personnes handicapées à qui ça bénéficie au bout du compte : ça permet de s’assurer qu’on a bien compris ce qu’on a appris. Pour la certification audit RGAA, c’est d’autant plus vrai, car, grâce à l’exercice de restitution, on a un temps d’échange à la fin entre le jury et la personne candidate. Cela permet de faire des retours un peu plus poussés et de dire à la personne ce qui est bien et ce qu’elle doit continuer à travailler pour s’améliorer ;
- ensuite, pour la confiance qu’on doit donner à la clientèle : c’est vrai qu’en France, on a beaucoup la « culture du diplôme » et ça joue sûrement. Toutefois, je ne m’arrêterais pas à ça. En effet, nos métiers dans l’accessibilité numérique n’étant pas réglementés et ce sujet devenant un peu « à la mode », on rencontre de plus en plus d’escrocs. N’importe qui peut théoriquement faire un audit : on voit donc des audits mal faits par des gens qui n’ont jamais suivi aucune formation. Or, l’accessibilité est un enjeu important qui concerne les droits humains, l’autonomie des personnes handicapées. La certification des compétences permet donc à la clientèle de s’assurer un minimum des compétences de la personne, même si ça ne fait pas tout.
Access42 – Lors des soutenances auxquelles tu participes, observes-tu une évolution dans la façon dont les candidat·es parlent de l’accessibilité et des besoins utilisateurs au fil du temps ? Si oui, laquelle ?
Julie Moynat – Je fais partie du jury depuis trois ans et je ne suis pas sûre qu’il y ait eu une évolution dans la façon de parler de l’accessibilité et des besoins des personnes handicapées au fil du temps.
J’ai l’impression que ça varie plutôt d’une personne à l’autre. Mais je ne tiens pas de statistiques donc je ne saurais pas dire la proportion de chaque cas.
Certaines personnes vont parler voire insister sur « l’accessibilité qui sert aux personnes valides ». Une maman avec une poussette, un barman en service sont des personnes décrites comme étant « en situation de handicap » alors que ce n’est pas le cas.
L’accent est mis sur le fait que l’accessibilité bénéficierait à tout le monde, sans parfois même prononcer « personnes handicapées » pour qui c’est pourtant une nécessité, un besoin d’autonomie, un droit humain à respecter, pas un bonus.
D’ailleurs, je remarque, en association avec ça, qu’il y a parfois une peur de dire les mots, de nommer les handicaps.
Je croyais aussi à cette idée, à mes débuts. Je croyais que c’était un bon argument, que ça permettait aux gens d’avoir de l’empathie de s’imaginer, dans le futur, en galère sur un site web inaccessible.
Au final, je me suis rendue compte qu’on nous sort ces arguments depuis longtemps et que, pourtant, l’accessibilité n’est toujours pas au rendez-vous : c’est donc que ça ne doit pas beaucoup convaincre.
Je me suis rendue compte, aussi, que c’était plutôt misérabiliste, et que c’était remettre, encore, toute la lumière sur les personnes valides.
Si on fait de l’accessibilité en pensant aux personnes valides, on prend le risque de mal faire. On peut faire une rampe pour les personnes avec une poussette qui ne sera pas aux normes et sera dangereuse pour les personnes en fauteuil roulant. L’inverse n’est pas vrai : la maman avec sa poussette est secondaire ; ça lui bénéficie, tant mieux, mais ce n’est pas le sujet.
Il y a quelques années, des gens avaient même fait un lecteur vidéo où les sous-titres s’activaient si le son était coupé et se désactivaient si le son était allumé ! Pratique pour les personnes dans le métro, mais inaccessible pour les personnes sourdes ou malentendantes…
J’ai vu aussi que, finalement, avec ce RGAA 4 qui a effacé de sa documentation les besoins auxquels répondent les critères, plein de gens ne savent pas à quoi servent tous les critères. Certains sont évidents, d’autres beaucoup moins. Certains critères répondent à plusieurs besoins et on n’en connaît que la moitié.
On doit donc aller lire les critères WCAG et le chapitre « Benefits » de la documentation « WCAG 2.1 Understanding Docs » pour bien comprendre.
Enfin, d’autres personnes vont bien définir l’accessibilité et expliquer les besoins en parlant concrètement des personnes handicapées, laissant de côté l’égo des personnes valides, donc en ayant bien assimilé le sujet.
Savoir expliquer l’impact concret d’une anomalie n’est pas toujours facile et c’est un axe de progression pour toute personne qui débute. Ça me semble très important pour que les équipes comprennent pourquoi il faut corriger d’une certaine façon et pas d’une autre.
Access42 – Quel conseil donnerais-tu aux personnes qui souhaiteraient se reconvertir ou se spécialiser dans le milieu de l’accessibilité numérique, mais qui ne savent pas par où commencer ?
Julie Moynat – Pour commencer, je renvoie toujours vers les notices AcceDe Web qui sont plutôt bien faites. En première approche du sujet, ça me semble plutôt facile d’accès, et c’est rangé par typologie de métier.
Mais je pense qu’il faut que ça s’accompagne d’une approche orientée vers la connaissance des handicaps et de ce que les personnes handicapées vivent au quotidien pour bien se rendre compte de l’importance du sujet, que ce soit dans le monde physique et/ou numérique.
Ça peut être bien de creuser du côté des bonnes résolutions anti-validistes des Dévalideuses ou encore d’écouter ou lire le podcast « Handicap : la hiérarchie des vies » de Clémence Allezard sur France Culture, par exemple.
Ensuite, n’hésitez pas à passer le cap de la formation professionnelle parce que c’est là le moment où on dit vraiment « aaaah, mais je codais vraiment n’importe comment en fait ! »
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Merci pour ce partage, la lecture est intéressante.