Interview : le Défenseur des droits statue sur l’obligation d’accessibilité des logiciels des administrations publiques
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Le 10 février dernier, le Défenseur des droits a rendu publique sa décision suite à une plainte pour défaut d’accessibilité des logiciels utilisés par les agents publics, en particulier, les agents déficients visuels.
Cette décision est remarquable à plus d’un titre, notamment de par la précision de l’analyse et la pertinence des recommandations. Elle dresse un diagnostic juste et équilibré en rappelant la notion d’aménagement raisonnable face aux arguments trop souvent utilisés de complexité et de coûts pour reporter la mise en accessibilité. Cet avis met également en exergue le besoin essentiel de formations et l’existence des dispositifs mis en place par la DINSIC et le FIPHFP.
La décision en bref
La décision du Défenseur des droits est très bien résumée par le billet «Discriminations : accessibilité des logiciels utilisés par les agents publics, des administrations encore en défaut» publié sur le site du Défenseur des droits.
Elle rappelle notamment que la France s’est engagée, en ratifiant la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH) en février 2010, à respecter les droits des personnes handicapées.
Les employeurs ont l’obligation de garantir un aménagement raisonnable pour permettre aux agents d’exercer leurs fonctions en toute autonomie. Ces aménagements raisonnables concernent non seulement l’aménagement du poste de travail ou des locaux, mais aussi l’aménagement des outils numériques. Si l’employeur refuse, cela peut être considéré comme une discrimination.
Nous avons voulu en savoir plus sur l’élaboration de ce document qui montre une réelle compréhension de la problématique et des moyens à mobiliser pour y faire face. Très gentiment, Mesdames Nina Ventura et Vanessa Barlier, juristes en charge de la rédaction de cette décision, ont accepté de répondre à nos questions, nous les en remercions chaleureusement.
Access42 : Pourriez-vous tout d’abord résumer comment se passe le processus de décision du Défenseur des droits : après la plainte d’un citoyen ou d’un organisme, que se passe-t-il jusqu’à la publication de la décision finale ?
Mesdames Barlier et Ventura : Si nécessaire, le Défenseur des droits mène une enquête auprès des employeurs ou organismes mis en cause par le réclamant. Cette enquête prend la forme d’un courrier de demande d’explications, qui appelle une réponse écrite dans un délai déterminé. Le Défenseur des droits peut également procéder à des vérifications sur place et des auditions.
Sur la base des éléments recueillis au cours de l’enquête, le Défenseur des droits prend une décision, qui soit reconnaît la discrimination ou une autre atteinte au droit, soit considère que celle-ci n’est pas établie.
S’il estime que la discrimination ou l’atteinte au droit sont établies, le Défenseur des droits a la possibilité de présenter des observations en justice (si le réclamant a introduit un recours), de proposer des recommandations pour rétablir la situation du réclamant et réparer son éventuel préjudice, voire de proposer une médiation entre les parties. Dans l’hypothèse où, comme cela était le cas en l’espèce, la réclamation pose une problématique susceptible d’affecter un plus grand nombre de personnes, il peut émettre des recommandations générales qui peuvent aller jusqu’à proposer une réforme.
Les recommandations, anonymisées, sont publiées sur le site de l’Institution.
Access42 : Est-ce que cette décision est le premier avis sur l’accessibilité numérique rendu public par le Défenseur des droits ?
Mesdames Barlier et Ventura : Oui, il s’agit du premier avis posant des recommandations générales sur cette question.
Access42 : Comment se passe le processus de rédaction d’un tel avis ? Par exemple, sur quelles ressources vous êtes-vous appuyées, vers quels organismes vous êtes-vous tournées ?
Mesdames Barlier et Ventura : En l’espèce, nous avons sollicité tous les ministères mis en cause par les réclamants.
Puis, s’agissant d’une problématique portant sur la politique numérique de l’État, les services du Défenseur des droits ont également recueilli les explications de la direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’Etat (DINSIC), placée sous l’autorité du Premier ministre, ainsi que celles du fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) eu égard à son rôle dans le financement des aides concernant l’accessibilité numérique.
Il nous a également semblé important de recueillir un éclairage de la part d’une société spécialisée en matière d’accessibilité numérique.
Access42 : L’enquête menée par vos services met en avant le fait que «le FIPHFP n’a pas été sollicité pour une aide financière, à l’exception d’un logiciel.» À votre avis, à quoi cela est-il dû ?
Mesdames Barlier et Ventura : Malheureusement, ce constat se retrouve dans de nombreux dossiers dont nous sommes saisis. Certains employeurs publics ont tendance à refuser l’aménagement du poste de travail, sans même rechercher si des modalités de financement existent. En tout état de cause, chaque fois que le Défenseur des droits instruit une réclamation liée à un handicap, la possibilité de recourir à ce fonds est mentionnée.
Access42 : Cette enquête met également en avant un frein important à la mise en accessibilité : le manque de formation. Quelles sont vos recommandations à ce sujet ?
Mesdames Barlier et Ventura : Le Défenseur des droits a recommandé au Premier ministre d’adresser, dans un délai de six mois, une circulaire à l’attention des administrations soulignant leurs obligations en matière d’accessibilité numérique, en appelant en particulier leur attention sur la nécessité de former les personnels, notamment les agents des directions des systèmes d’information.
Access42 : En quoi cette décision du Défenseur des droits est-elle un progrès significatif dans la reconnaissance des discriminations subies par les fonctionnaires handicapés en matière de conditions de travail ?
Mesdames Barlier et Ventura : Cette décision établit clairement le lien entre l’inaccessibilité et les discriminations qui peuvent en découler dans l’emploi. Au-delà de réclamations individuelles dont ils peuvent toujours saisir le Défenseur des droits, cette décision peut permettre aux agents handicapés de faire valoir leurs droits auprès de leur employeur qui refuserait de prendre les mesures appropriées pour rendre accessible un outil numérique.
Dans la mesure où la discrimination liée à l’inaccessibilité des logiciels utilisés par l’administration touche un grand nombre d’agents publics, l’obligation de rendre accessibles ces logiciels, réaffirmée par la décision, profitera à un grand nombre d’agents.
Access42 : En perspective, que se passe-t-il une fois que les délais que vous avez fixés aux institutions concernées a été dépassé ? Est-ce qu’ils vous répondent ? Publiez-vous une suite sur votre site ? Y a-t-il des sanctions si aucune réaction n’a lieu ?
Mesdames Barlier et Ventura : Si les recommandations ne sont pas suivies d’effet, le Défenseur des droits peut enjoindre à leurs destinataires (personne physique ou morale, telle l’administration) de prendre les mesures nécessaires à leur mise en œuvre.
S’il n’est pas donné suite à l’injonction, le Défenseur des droits peut établir un rapport spécial qui peut être rendu public (publication au journal officiel). Les personnes mises en cause sont alors publiquement désignées et identifiées comme fautives. Un droit de suite est donc systématiquement assuré par le Défenseur des droits, dont le public est informé à travers son rapport d’activités annuel.
Les recommandations
Cette décision donne une liste de recommandations à l’intention du Premier ministre et des ministères mis en cause par la plainte.
Les employeurs publics mis en cause doivent faire la liste des logiciels utilisés par leurs agents et vérifier s’ils sont conformes aux exigences du RGAA. Ils auront six mois pour indiquer les fonctionnalités de ces outils qui sont actuellement inaccessibles.
Les Ministères concernés ont également six mois pour établir un échéancier de mise en accessibilité des logiciels libres qu’ils utilisent.
Les employeurs publics concernés auront aussi six mois pour faire réaliser, par un expert indépendant, un audit d’accessibilité des logiciels inaccessibles et lister les difficultés techniques ainsi que les moyens nécessaires pour assurer la mise en accessibilité de ces logiciels.
En ce qui concerne les logiciels en cours de refonte, ces travaux devront être effectués avant la fin de l’année 2017.
Le Premier ministre devra veiller aux moyens dont dispose la DINSIC pour atteindre les objectifs qui lui ont été assignés par le décret du 21 septembre 2015. Enfin, il devra publier une circulaire dans un délai de six mois à destination des administrations à propos de leurs obligations en matière d’accessibilité numérique. La nécessité de former les personnels et les agents des directions des systèmes d’information devra être rappelée par cette circulaire.
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Interview : le Défenseur des droits statue sur l'obligation d'accessibilité des logiciels des administrations publiques
Bonjour, suite à la réussite au concours de contrôleur interne 2016/2017, de la Direction Générale, de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes. - DGCCRF. Etant reconnue travailleur handicapé, à cause de la perte d'un oeil et de 3/10ème dans l'autre, la DGCCRF a refusé de mettre à ma disposition un écran 24 pouces et un télé agrandisseur comme l'avait préconisé le médecin de prévention. Résultats : scolarité chaotique et non titularisation pour moi. Je vis très mal cette situation d'injustice.