Interview de Vincent Aniort, expert senior en accessibilité numérique chez Orange

La traduction officielle en français des WCAG 2.2, la norme internationale d’accessibilité numérique, a été publiée le mois dernier. C’est l’occasion de faire connaissance avec notre confrère Vincent Aniort, expert en accessibilité numérique et membre du comité de traduction des WCAG.

Vincent œuvre de très longue date pour l’accessibilité numérique, que ce soit à titre professionnel ou bénévole. Vous l’avez peut-être déjà croisé lors d’un évènement dédié à l’accessibilité, car il y donne souvent des conférences (Paris Web, Flupa UX Days, etc.).

Dans cette interview, il revient sur son parcours, présente des projets dont il est fier et partage son point de vue à propos des leviers efficaces pour favoriser la prise en compte de l’accessibilité, y compris au sein du milieu associatif.

Nous remercions Vincent d’avoir répondu à cette interview avec franchise et générosité !

Vincent Aniort
Vincent Aniort. Crédit photo : Paris Web. Licence Creative Commons CC BY-SA 2.0.

Access42 – Bonjour Vincent ! Pouvez-vous vous présenter s’il vous plaît ?

Vincent Aniort – Bonjour, je suis Vincent Aniort, je travaille chez Orange depuis 2007 en tant qu’expert accessibilité numérique – vu mon grand âge et mes plus de 20 ans dans l’accessibilité, je crois pouvoir dire, expert senior.

Je fais partie d’un centre de compétences en accessibilité numérique transverse au groupe Orange. Nous sommes environ 12 personnes travaillant pour tous les pays du groupe, mais surtout l’Europe et en particulier la France, plus 4 à 5 personnes, relais locaux, en charge de l’accessibilité numérique dans les grands services d’Orange.

Je suis également investi dans des associations de défense des personnes en situation de handicap afin d’assurer la prise en compte en interne et proposer de vraies revendications politiques et être crédible face aux pouvoirs publics en ce qui concerne l’accessibilité numérique.

Access42 – En quoi consiste votre travail en tant qu’expert accessibilité numérique chez Orange ?

Vincent Aniort – Mon boulot est très varié, étant donné que j’interviens dans pratiquement toutes les activités du service. Vu mon ancienneté, je suis un peu l’encyclopédie, l’historien. Je travaille en particulier dans cinq domaines :

  • en premier lieu, notre activité principale au centre de compétences en accessibilité numérique (a11y) est une activité d’audits, de support technique aux projets et d’établissement des déclarations officielles d’accessibilité (plus de 200 déclarations mi-2024). Je participe à cette activité plus en support/relecture pour mes collègues ;
  • nous maintenons également un site internet ouvert à tous (open source) sur lequel nous mettons en place des ressources d’a11y à la fois pour le web, les applications mobiles, mais aussi les réseaux sociaux et globalement les documents numériques. J’en suis le rédacteur en chef et je veille à son amélioration et à son évolution ;
  • en parallèle, nous concevons des outils pour l’accessibilité numérique dans lesquels je suis partie prenante à différents niveaux : développeur, product owner (PO) ou encore contributeur. Par exemple, nous mettons à disposition, également en open source :
    • une application web progressive permettant d’aider l’auditeur et de générer la déclaration correspondante,
    • un « Escape Game » accessibilité numérique que nous utilisons en interne en formation ;
  • nous avons aussi mis en place de nombreux modules de formation afin que toutes les parties prenantes d’un projet numérique puissent être formées, quels que soient leurs profils métiers ; cela représente environ 1500 personnes par an. Je donne régulièrement des formations, et je contribue aux évolutions du contenu des formations ;
  • dernier point, et non des moindres, nous assurons des actions de communication interne et externe afin de nous faire connaître, de partager notre expérience et nos ressources au plus grand nombre. Étant sur Paris, je suis très sollicité, mais j’aime bien jouer des claquettes.

Access42 – Quel a été votre parcours avant de rejoindre Orange ?

Vincent Aniort – J’ai une formation initiale en master 2 d’enzymologie et physico-chimie des protéines, puis, à la suite d’un accident de la vie en 1996, je me suis retrouvé en situation de handicap, utilisateur de fauteuil roulant.

Ce fut le déclic : « le web sera mon avenir professionnel ». J’ai donc suivi une formation pour amorcer ma reconversion professionnelle.

Ensuite, j’ai pris le statut d’indépendant (développeur, chef de projet…), puis j’ai ouvert une agence web. J’ai géré un site internet d’informations médicales, mais j’ai aussi travaillé pour un acteur de l’accessibilité (Atalan), pour des SSII, etc. J’ai pas mal roulé ma bosse, en fait !

Access42 – Pourquoi avez-vous souhaité faire partie du groupe de relecture officiel de la traduction des WCAG 2.2 en français ?

Vincent Aniort – J’ai déjà participé à la traduction des WCAG 2.0 et à la traduction des WCAG 2.1.

J’avais apprécié les échanges entre les experts, le bon esprit des discussions et la ligne de mire de chacun : assurer une traduction fidèle au document original, tout en étant le plus clair et précis possible pour permettre aux francophones de se l’approprier.

C’est vrai aussi que ça facilite l’appropriation et la maîtrise de la norme. Il m’a donc paru naturel de rempiler pour les WCAG 2.2.

Access42 – Qu’avez-vous pensé de la façon dont Access42 a coordonné le travail du comité de relecture ?

Vincent Aniort – Je ne doutais pas de la capacité d’Access42 d’organiser tout ça ! 😃 Je connais pas mal d’entre eux, et cela depuis longtemps. Et je n’ai pas été déçu.

D’abord, cela a été efficient : la méthode via un GitLab a fonctionné à merveille. L’outil était bien adapté à ce type de projet, cela nous a facilité la tâche.

Cela a aussi été efficace : la gestion du calendrier et du projet par Audrey Maniez fut très professionnelle et bien rythmée.

Tout s’est bien passé, encore bravo.

Access42 – Vous travaillez depuis longtemps dans le secteur de l’accessibilité numérique. Avec le recul, quels leviers vous semblent les plus efficaces pour que l’accessibilité numérique soit prise en compte de manière systématique sur les projets numériques, aussi bien au sein d’un grand groupe comme Orange que dans le milieu associatif ?

Vincent Aniort – S’il ne devait en rester qu’un, je dirais, sans hésiter, la contrainte et la coercition. Sans contraintes légales fortes et des amendes dissuasives, rien n’a avancé, rien n’avance et rien n’avancera.

Avec le recul, tout prouve, à l’instar du RGPD (Règlement général sur la protection des données), que les coups de batte font beaucoup plus que « les prises de conscience », « la bonne volonté » ou de jolies carottes.

Ensuite, s’il reste du temps, on peut parler de la formation initiale, mais aussi de formations spécifiques pour les différents types de profils métiers et enfin, en cours de projet, de formations à façon en fonction des besoins.

Pour ce qui est des leviers financiers, on va dire, il est important d’intégrer, dans le cahier des charges ou dans le contrat pour de la sous-traitance, des clauses spécifiques en ce qui concerne l’accessibilité numérique. C’est le bon moyen pour contraindre la MOE (maîtrise d’œuvre) de « faire accessible ».

Et le dernier point, plutôt technique, c’est, pour des entreprises de taille suffisante – quoique, même pour les petites et moyennes entreprises (PME) – l’adoption d’un design system (DS).

C’est un investissement vraiment rentable : pour nous, chez Orange, nous avons calculé que, globalement, l’utilisation de notre DS diminuait le nombre d’erreurs de plus de 60 %. Tout le monde gagne à réutiliser des composants tout prêts et accessibles.

Access42 – Dans le milieu associatif en particulier, observez-vous une évolution, ou au moins une prise de conscience, en matière de numérique accessible ?

Vincent Aniort – Oui, j’ai pu voir une évolution lente, mais certaine sur la prise en compte du sujet de l’a11y dans de nombreuses associations, et en particulier de personnes handicapées. En même temps, c’est la moindre des choses…

Mais c’est toujours insuffisant et bien trop lent ! Et toujours en fonction du bon vouloir et/ou de la sensibilisation, de l’intérêt pour l’a11y. C’est bien triste.

Access42 – Souhaitez-vous ajouter quelque chose, ou passer un message supplémentaire à propos de l’accessibilité numérique ?

Vincent Aniort – En effet, je souhaite rajouter quelques mots. D’abord parce que je suis bavard dès que l’on parle d’a11y, mais aussi parce que nous sommes à un moment charnière, disruptif, et que l’on assiste à un vrai changement de paradigme (ouais, j’essaye de me mettre à parler marketeux).

Je parle bien entendu de l’échéance, en juin 2025, de l’European Accessibility Act (EAA, l’acte européen d’accessibilité) qui va rebattre toutes les cartes en imposant des organismes de contrôle, et des sanctions, même pour une non-conformité. Et là ça change tout !

La batte de baseball arrive et elle va faire mal, comme en témoignent les articles publiés sur le blog d’Access42, ou le blog de Temesis.

Pour répondre à cette montée en charge dans la mise en accessibilité de tous les sites dans le périmètre de l’EAA, il faut structurer et professionnaliser notre milieu pour être crédible et assurer une réelle accessibilité à tous ces futurs applicatifs.

Un des leviers principaux pour améliorer globalement l’accessibilité est d’assurer une formation initiale solide des métiers de l’informatique et par la même, que les projets soient donc plus autonomes face aux erreurs classiques et basiques d’a11y.

Cela permettra une expertise technique d’a11y de meilleure qualité, là où, un expert en a11y a une vraie valeur ajoutée à différents niveaux :

  • la mise en accessibilité de fonctionnalités complexes (interactivité poussée, changement de contexte, chargement asynchrone…) ;
  • la mise en place de plans de tests spécifiques avec des tests automatiques ;
  • la pré-qualification ;
  • la réalisation ou l’encadrement de tests manuels, voire de tests avec des utilisateurs d’aides techniques.

Tout cela permettra d’aller au-delà de l’accessibilité normative vers une accessibilité ergonomique, une réelle utilisabilité et une inclusion effective de tous les utilisateurs.

À propos

  • Équipe Access42

    Access42 est un cabinet de conseil français spécialisé en accessibilité numérique. Ses services incluent des audits d’accessibilité (RGAA, WCAG, norme européenne EN 301 549, RAWeb, RAAM), de l’accompagnement personnalisé ainsi que des formations à l’accessibilité adaptées à tous les métiers du numérique.

Ajouter un commentaire

Le formulaire contient des erreurs. Veuillez vérifier votre saisie puis envoyer à nouveau votre demande s’il vous plaît.

* Champs obligatoires

Veuillez remplir ce champ s'il vous plaît.

Veuillez remplir ce champ s'il vous plaît.