A11y Paris 2024 : notre compte-rendu
Le 25 juin 2024, Access42 était présente en force à Paris, pour assister à l’édition 2024 d’A11y Paris.
Outre les présentations animées par des acteurs et actrices du domaine, A11y Paris nous a permis d’échanger avec une partie de nos confrères et consœurs, et de retrouver certains de nos clients.
Pas moins de 600 personnes se sont inscrites à A11y Paris cette année, contre 450 en 2023 : preuve s’il en est que le sujet est chaud, et qu’il touche un public de plus en plus large.
À la fin de la journée, l’hommage rendu par Christian Cousquer à notre collègue et ami Jean-Pierre Villain nous est allé droit au cœur.
Voici les moments qui ont le plus retenu notre attention.
Cadre institutionnel et obligations légales
Le programme 2024 de A11y Paris a tenté d’équilibrer les prises de paroles entre les représentant·es de services publics et d’associations d’une part, et les expert·es de l’accessibilité numérique de l’autre.
Là où l’on aurait pu craindre des présentations faisant la part belle à la langue de bois, les présentations institutionnelles ont fait plutôt preuve d’humilité et d’une certaine transparence.
Discours d’ouverture d’Isabelle Saurat, déléguée interministérielle à l’accessibilité
Isabelle Saurat a reconnu le retard pris par la France en matière d’accessibilité, constat corroboré par les différents observatoires sur l’accessibilité numérique, comme l’Observatoire du respect des obligations d’accessibilité numérique porté par la Fédération des Aveugles et Amblyopes de France (FAAF) et présenté par Katie Durand et Denis Boulay plus tard dans la journée.
Elle a annoncé que l’État s’engage à rendre tous ses sites accessibles d’ici 2027.
La déléguée interministérielle a par ailleurs insisté sur l’importance de sensibiliser et former à l’accessibilité tous les corps de métier, y compris les « dirigeants » et félicité la première promotion du Diplôme Universitaire Référent Accessibilité Numérique (DU RAN) [1].
Présentation des plans d’action de l’Arcom pour contrôler l’application de la loi
Depuis septembre 2023 [2], l’Arcom a désormais pour mission de veiller au respect d’un certain nombre d’obligations relatives à l’accessibilité des services numériques.
Pour avoir un état de l’art et savoir comment orienter ses actions, Laurence Pécaut-Rivolier explique que l’Arcom collabore avec le CNCPH (Conseil national consultatif des personnes handicapées), mais aussi avec certaines associations.
Ainsi, dès décembre 2023, l’Arcom a adressé un premier lot de courriers de sensibilisation à des sociétés de transport aérien. En mars 2024, elle a envoyé 133 courriers à diverses administrations publiques pour leur rappeler leurs obligations légales en matière d’accessibilité numérique. Depuis avril 2024, l’Arcom intervient auprès de plusieurs collectivités territoriales à des fins de sensibilisation.
Laurence Pécaut-Rivolier a rappelé à plusieurs reprises que l’objectif n’est pas d’aller jusqu’à la sanction, mais d’inciter les entités à se mettre en conformité. Lorsque ses courriers restent lettre morte, l’Arcom est en mesure d’émettre des mises en demeure (décisions publiques et juridiquement contraignantes).
Elles sont assorties d’un délai de mise en conformité variable en fonction du type d’obligation concernée par le manquement. Si les entités concernées persistent à ne pas se conformer à la loi, alors l’Arcom peut prononcer à leur encontre des sanctions pécuniaires :
- 50 000 € maximum pour non-conformité au RGAA (Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité). Cela concerne uniquement les acteurs publics (personnes morales de droit public, ou de droit privé délégataires d’une mission de service public).
- 25 000 € maximum en cas de manquement aux obligations déclaratives. Cette sanction concerne aussi bien les acteurs publics que les acteurs privés (entreprises dont le chiffre d’affaires annuel excède 250 millions d’euros).
L’Arcom ne dispose aujourd’hui que de 2,5 ETP (équivalents temps plein), c’est-à-dire 2,5 postes, pour vérifier la conformité de tout l’écosystème web français et travaille à la mise en place de tests automatiques pour contrôler un volume de sites plus important, en s’appuyant notamment sur une intelligence artificielle [3].
Le public, piqué, s’est alors mis à bombarder Laurence Pécaut-Rivolier de questions difficiles, semblant la tenir responsable de cet état de fait. Cependant, comme l’oratrice l’a rappelé à juste titre, l’Arcom n’est pas responsable des budgets qui lui sont alloués pour mener ses missions à bien. Autrement dit : Don’t shoot the messenger.
Laurence Pécaut-Rivolier a par ailleurs invité à faire preuve de bon sens au moment de signaler des manquements liés à l’accessibilité et de cibler en priorité les sites qui touchent le public le plus vaste, ceci afin de ne pas disséminer les forces et le budget limités de l’Arcom.
Lisez notre article dédié pour tout savoir sur les missions de l’Arcom pour l’accessibilité numérique
Engagement de nos clients
Cela a été pour nous un grand plaisir d’écouter plusieurs des clients d’Access42 présenter, sur scène, le résultat de leur travail en faveur de l’accessibilité et d’en apprécier son rayonnement.
Présentation de la démarche d’accessibilité numérique par la CAPB (Communauté d’agglomération du Pays basque)
Une des présentations les plus enthousiasmantes de la journée était celle de Daniel Olçomendy, 4e vice-président de la CAPB en charge du Tourisme durable et de l’Accessibilité universelle du territoire, et maire d’Ostabat-Asme (Pyrénées-Atlantiques).
Daniel Olçomendy a présenté la politique volontariste de la CAPB en matière d’accessibilité numérique et les défis auxquels elle fait face, non seulement en termes de budget, mais aussi d’acculturation des élu·es et des agents publics sur un vaste territoire où il existe une grande disparité de population et de moyens entre les communes.
C’est la solidarité territoriale et la mutualisation des moyens qui ont permis de déployer des mesures efficaces pour offrir aux municipalités des sites web conformes au RGAA et écoconçus, à bas coût.
Plusieurs leviers d’action ont rendu cette prouesse possible :
- l’intransigeance de la volonté politique : chaque nouveau projet numérique doit être conforme et faire l’objet d’un audit d’accessibilité ;
- l’implication des parties prenantes, grâce à l’identification de chargé·es de mission au niveau de la Communauté d’agglomération, et de référent·es accessibilité sur chaque commune ;
- la sensibilisation, la formation et l’accompagnement des chargé·es de mission, ce qui leur apporte de la légitimité pour déployer la politique d’accessibilité collective sur le terrain ;
- la création d’un socle technique commun à partir duquel chaque commune peut publier son propre site web, conforme au RGAA, écoconçu et personnalisable, à moins de 5000 €. Cette prouesse technique est possible grâce au CMS Translucide, au thème open source Elgar et au système multisites Elgarweb (« elgar » signifiant « ensemble » en basque).
En somme, un retour d’expérience concret et positif, qui a toutes les chances d’inspirer d’autres collectivités territoriales. Access42 est très fière d’accompagner la CAPB dans ce projet ambitieux !
Du RGAA à la norme européenne : les référentiels luxembourgeois
À leur tour, Alain Vagner et Dominique Nauroy, référents accessibilité numérique du Service Information et Presse (SIP) du gouvernement luxembourgeois, ont présenté la façon dont le Grand-Duché de Luxembourg a mis en place les obligations légales relatives à l’accessibilité numérique depuis 2020.
C’est leur division Open data et accès à l’information du SIP qui a la charge de la mise en œuvre de la loi luxembourgeoise qui transpose la Web Accessibility Directive (WAD). Le contrôle du respect du European Accessibility Act quant à lui relève d’une nouvelle entité : l’Office de la surveillance de l’accessibilité des produits et services (OSAPS).
Afin d’aider à évaluer la conformité à la norme européenne EN 301 549 (PDF en anglais, 2,3 Mo), le SIP a fait appel à l’expertise d’Access42 lors de la création de trois référentiels d’accessibilité :
- le RAAM (Référentiel d’évaluation de l’accessibilité des applications mobiles), publié en 2021 ;
- le RAPDF (Référentiel d’évaluation de l’accessibilité des fichiers PDF), publié en 2023 ;
- et le RAWeb (Référentiel d’Évaluation de l’Accessibilité Web), publié en 2024.
Le RAWeb a été pensé pour être compatible avec le référentiel français RGAA et le compléter en ajoutant des critères permettant de couvrir la norme européenne dans son ensemble. L’équipe luxembourgeoise contribue d’ailleurs au RGAA en proposant des modifications à la DINUM (Direction interministérielle du numérique en France).
Le SIP poursuit par ailleurs ses chantiers en faveur de l’accessibilité. Alain Vagner et Dominique Nauroy ont ainsi évoqué plusieurs projets en cours :
- la mise à jour du RAAM, après une enquête auprès de ses utilisateurs et utilisatrices ;
- la création d’un Observatoire luxembourgeois de l’accessibilité numérique en ligne. Son tableau de bord permettra de suivre et de valoriser les actions correctives (méthode dite « name and praise », « nommer et féliciter » : une approche positive, qui tranche là aussi avec certains choix faits en France).
Nos déceptions
Pour terminer ce compte-rendu, nous souhaitons partager notre déception concernant deux moments importants d’A11y Paris, que nous attendions pourtant de façon raisonnablement optimiste.
Charte d’engagement sur l’audit de conformité RGAA
La matinée du mardi s’est soldée par une présentation minute de la charte d’engagement sur l’audit de conformité RGAA publiée par le CNCPH.
Quel meilleur public que celui d’A11y Paris pour rappeler l’existence de cette charte, étant donné qu’elle a été produite en cercle restreint, sans appel préalable à contribution ou commentaires de la part de l’ensemble des acteurs et actrices de l’accessibilité numérique ?
À cette opacité s’ajoute le caractère inapplicable ou peu pertinent de certains engagements proposés par la charte. Nous en détaillons certains dans l’article collaboratif « Pourquoi réviser la charte du CNCPH sur les audits RGAA est nécessaire », co-signé par un collectif d’expert·es accessibilité numérique dont fait partie Access42.
Avant de publier cet article, nous avions déjà alerté le CNCPH par e-mail à plusieurs reprises, dès juillet 2023. Hélas, le CNCPH n’a toujours pas répondu à nos questions, ni à propos des conditions d’élaboration et d’édition de la charte ni à propos des problèmes que son contenu soulève, tant sur le plan technique qu’éthique.
Dire que tout cela nous déçoit relève de l’euphémisme.
Note : nous ignorons à ce jour si ces différentes réserves ont été discutées lors de l’atelier « Charte Audit RGAA » prévu le lendemain, car nous n’avons pas pu participer à la journée d’ateliers organisée par A11y Paris chez Razorfish.
Table ronde « Quel avenir pour le Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité ? »
Notre collègue et co-gérante Audrey Maniez a été invitée par A11y Paris pour intervenir lors d’une table ronde au titre prometteur.
Toutefois, cette table ronde aura sans doute laissé l’assistance sur sa faim, puisqu’elle s’est terminée sur une impasse, la DINUM ne s’estimant pas en mesure de communiquer sur les suites à donner au RGAA.
Il est regrettable que cette table ronde n’ait pas abordé des points plus techniques, par exemple :
- la révision de l’écriture de certains critères du RGAA : certains d’entre eux étant obsolètes, d’autres étant rédigés de manière encore trop ambiguë ;
- la remise à jour de l’environnement de test ;
- ou encore la définition des niveaux de conformité.
Au lieu de cela, la table ronde a vite sombré dans ce qui ressemblait à s’y méprendre à un règlement de comptes public. Le milieu de l’accessibilité numérique, en France, a encore de très gros efforts à fournir pour offrir un cadre de travail et de réflexion collaboratif, accueillant et respectueux d’autrui.
En fin de compte, cette table ronde aura moins parlé de l’avenir du RGAA que de son passé : une façon bien décevante de clôturer l’édition 2024 d’A11y Paris.
Espérons que la prochaine mise à jour de la norme européenne, prévue pour début 2026, soit l’occasion de remettre à l’ordre du jour l’évolution du RGAA afin de se préparer à l’entrée en force de la Directive européenne (UE) 2019/882 relative à l’accessibilité des biens et services.
En attendant, chez Access42, nous continuons à accompagner le Grand-Duché de Luxembourg à la création et à la mise à jour de ses référentiels, qui permettent de satisfaire à l’intégralité de la norme européenne EN 301 549, contrairement au RGAA 4.